jeudi 2 août 2007

A BATONS ROMPUS

SOUMAÏLA CISSE, PRESIDENT DE LA COMMISSION DE L’UEMOA PARLE:
« Mes rapports avec ATT »
Le troisième président de la Commission de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africain (UEMOA), notre compatriote, Soumaïla Cissé, installé aux commandes depuis le mois d’avril dernier, commence à imprimer satâche de technocrate hors pair à l’Union. Le Malien qui ne se sent pas dépaysé dans les arcanes de cet outil de l’intégration sous-régionale, a accepté de s’ouvrir à notre confrère burkinabé de Sidwaya. Maîtrisant son « business » de l’UEMOA, Soumi n’a esquivé aucune question, même celles relatives à ses rapports controversés avec le Président ATT et ses ambitions politiques pour l’horizon 2007. Nous vous proposons un extrait du long entretien qu’il a accordé le 27 juillet dernier à Sidwaya.
Janvier 1994 - juillet 2004, cela fait 10 ans 6 mois que l’UEMOA est née. Est-ce que l’enfant grandit bien, apprend-il bien à l’école ?
Soumaïla Cissé
(S. C.) : Il y a dix ans qu’un acte majeur a été posé : c’est la création de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA). Mais à cette époque, c’est plus la dévaluation du franc CFA qui a marqué les esprits que la naissance de l’Union.
Dix ans après, le bilan est positif. Les Chefs d’Etat de l’époque ont fait un choix judicieux, car on ne peut pas gérer une monnaie commune sans avoir des politiques qui convergent. Et c’est pour cela qu’il était nécessaire d’avoir une union économique.
En dix ans, des chantiers importants ont été mis en œuvre. Je pense que l’enfant grandit bien, même s’il a des difficultés quelquefois. Globalement, nous sommes dans une Union qui progresse, qui peut faire la fierté de notre sous-région.
Quels sont les domaines dans lesquels l’enfant grandit bien ?
S. C. : Je crois qu’il y a une volonté politique qui est partagée. L’ensemble des Chefs d’Etat, des gouvernements et des populations de l’Union sont convaincus qu’aucun pays ne peut s’en sortir tout seul. La seconde chose qui montre que cette volonté politique a des prolongements, c’est que la Guinée-Bissau a rejoint les 7 premiers Etats de l’UEMOA. Ensuite, nous avons mis une union douanière qui progresse aujourd’hui, les échanges entre les 8 pays se passent relativement bien. Nous avons supprimé les droits de douane pour tous les produits originaires ou agréés des pays membres. Nous avons mis en place un Tarif Extérieur Commun (TEC). Cela veut dire qu’en même temps que nous réalisions notre intégration, nous nous ouvrons à l’extérieur. A l’heure actuelle, certains pays frappent à la porte de l’Union. La CEDEAO a même décidé de s’inspirer de notre réussite dans certains domaines.
Sur le plan sectoriel, nous avons des politiques communes au niveau de l’agriculture, de l’industrie et même au niveau de la culture. A la réunion de Niamey, il y a quelques temps, nous avons adopté un programme économique régional qui nous permet de voir ce que nous pouvons réaliser ensemble. Il ne s’agit pas d’avoir seulement des politiques macroéconomiques, mais de prendre en compte aussi les préoccupations quotidiennes de nos populations. Il y a beaucoup de chantiers sur lesquels nous avançons de façon résolue. Nous avons mis des prélèvements communs en place. Nous avons aussi la surveillance multilatérale... Dans l’ensemble, nous avançons de façon satisfaisante. (…)
Selon la rumeur, le franc CFA sera une fois encore dévalué. Dans ce contexte de mondialisation, quel est l’avenir du franc CFA face à la baisse répétée du cours du dollar ?
S. C. : On dit que l’avenir n’appartient à personne mais, notre avenir nous appartient. Si nous gérons bien notre économie, on aura une monnaie qui convient. Si par contre, c’est la corruption, la gabegie ou la non transparence qui prennent le pas, on aura ce qu’on mérite. Sans nous flatter, nous sommes dans une sous-région qui a connu des progrès remarquables par rapport à l’ensemble des autres sous-régions africaines. Cela ne veut pas dire que nous sommes irréprochables mais nous sommes peut-être ceux qui ont donné de bons signes de progrès par rapport aux autres. Ceci dit, nous sommes dans une sous-région avec des pays enclavés. Cela se répercute sur l’économie d’ensemble de l’Union. Nous sommes aussi dans une mondialisation et nos produits de base ont des difficultés sur le marché mondial. Cela est lié aux subventions, aux politiques commerciales de certains grands pays.
Aujourd’hui, nous avons une monnaie qui se porte bien et sa gestion est irréprochable. Nous avons un taux de couverture satisfaisant, la monnaie est le reflet d’une économie et il faut que cette économie progresse assez bien pour assurer de beaux jours à la monnaie. Parlant de dévaluation, personne ne peut empêcher les rumeurs. Nous venons de tenir une réunion le 5 juillet à Dakar où nous avons passé en revue la situation monétaire de la sous-région. Je peux dire qu’on n’est pas du tout inquiet pour l’avenir. Mieux, nous sommes sereins.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que le président ATT s’est battu pour vous placer à la tête de l’UEMOA parce que vous êtes gênant au Mali ?
SC
Gênant pour qui ?
Pour lui et pour la classe politique malienne ?
SC
Je ne le crois pas. Dans la vie d’un homme, il y a plusieurs étapes. Il faut à chaque fois savoir ce qu’on peut faire et ce qu’on ne peut pas faire. J’ai eu beaucoup de chances au Mali, d’avoir occupé des fonctions importantes, d’avoir connu une expérience extraordinaire en étant candidat à l’élection présidentielle parce que ce sont des moments très riches et qu’on ne regrette pas. On apprend beaucoup de choses qui vont largement au-delà de ce qu’on peut lire dans les bouquins. L’homme et la société sont des choses extrêmement complexes.
Le président ATT et moi, nous nous connaissons depuis 1962. Nous avons fait le collège de Mopti au Mali ensemble et nous sommes de très bons amis. Cela n’exclut pas à un moment donné, qu’on veuille la même chose (rires). Ceci dit, il y a un temps pour tout. Il y a le temps de la campagne, il y a le temps de la politique, le temps où l’on accepte les résultats, le temps où l’on tourne la page et on fait autre chose. Il m’a proposé de venir ici et j’ai accepté. Je suis venu vraiment librement. Il n’y a eu aucune contrainte, aucune pression particulière sur moi. Ça ne m’empêche pas d’avoir des amis au Mali et d’y aller.
Mais est-ce que vous avez toujours des ambitions présidentielles ?
SC :
Les ambitions vont et viennent. Pour le moment, ça ne vient pas (rires).
La prochaine présidentielle malienne va se dérouler au moment où vous serez à un an de la fin de votre mandat à la Commission de l’UEMOA. Allez-vous démissionner pour être candidat ?
SC:
Vous savez, nous étions vingt-quatre (24) candidats. On peut être candidat et ne pas être élu. En général, tout ce que je fais, je le fais passionnément et entièrement. Aujourd’hui, je suis à la tête de la Commission, j’ai des défis importants à relever. Honnêtement, je m’y consacre. Je ne passe pas mon temps à regarder le rétroviseur quand je conduis. Je me concentre sur la route, je freine et accélère au bon moment. J’évite les piétons et les cyclistes. Je reste là où je suis aujourd’hui.
Quelle a été votre touche personnelle dans le processus d’intégration quand vous étiez ministre des Finances ?
SC
: J’ai eu la chance d’être le premier président du Conseil des ministres de l’UEMOA. Et aussi la chance ou la malchance d’avoir été celui qui a signé l’acte de dévaluation. Ensuite, c’est moi qui ai installé la première Commission de l’UEMOA. J’ai vraiment participé aux premiers actes et aux choix des premiers hommes au niveau de l’Union. Ceci a fait qu’après, je me sentais beaucoup plus responsable dans la mise en œuvre des chantiers. Et je pense que du côté du Mali, j’ai pu suffisamment œuvrer pour faire passer les dossiers les plus difficiles qui pouvaient exister à l’époque. Quand on a décidé par exemple de passer la TVA à 18%, honnêtement ce n’était pas chose facile et il fallait le réussir chez nous. Et tous les pays de l’interland, le Mali, le Burkina, le Niger avaient beaucoup de difficultés à faire accepter un certain nombre de mesures. L’un de mes combats que j’ai réussi à l’époque contre la Commission, c’était de faire échelonner le désarmement tarifaire. J’avais l’intuition très forte que si on allait trop vite, on allait se planter. La première idée en 96, c’était d’aller tout de suite à 100 %. J’ai dit non et on est passé d’abord à 30%. Ce n’est qu’en 2000 qu’on est arrivé à 100 %. Et je crois que cela a été heureux de faire les choses progressivement parce qu’il faut de la pédagogie, il faut ramener la confiance. Je ne regrette pas d’avoir mené ce combat en ce moment-là.
Le Mali, votre pays a connu une alternance au sommet de l’Etat qui a été saluée par tous. Comment voyez-vous la suite de la gouvernance politique au Mali, dans un contexte où le président ATT gouverne sans opposition.
SC:
C’est vrai qu’il y a une situation qui paraît atypique parce que les gens aiment bien les oppositions. Mais, il faut que l’opposition aussi soit crédible, utile, qu’elle fasse attention. Partout, il le faut. Il ne faut pas des oppositions de faire-valoir.
ATT a une dimension un peu spéciale au Mali. Je crois que ceci peut expliquer cela. Je ne suis pas sûr que tout autre homme politique de notre génération puisse bénéficier de cette dimension. Parce que tout simplement en 1991, il a été le héros de la révolution contre le régime de Moussa Traoré. Il est perçu par l’ensemble de la classe politique comme un libérateur. Cela a fait que le ralliement s’est fait plus autour de l’homme qu’autour d’un programme ou de tout autre chose. C’est cette dimension qu’il faut regarder et comprendre. C’est pour cela que je disais, quand on parlait de la constitution, chaque pays a ses spécificités. Ce n’est pas pour autant qu’on peut dire qu’il n’y a pas de démocratie au Mali parce qu’il n’y a pas d’opposition affichée. Il n’y a qu’à lire la presse malienne, on se rend compte qu’ATT lui-même a droit à tout. Ce sont des situations, à mon avis, exceptionnelles. Une sorte de parenthèse démocratique que l’on rencontre dans beaucoup de pays.
Ceci dit, il y a des partis politiques qui se battent. Chacun essaie d’avoir sa place sur l’échiquier national et forcément, ils vont continuer la compétition. Ce que je crois pour le Mali, c’est que les choses ne seront plus jamais comme avant. J’espère vraiment qu’au Mali, on a atteint un point de non-retour du point de vue du processus démocratique.
Personne ne peut plus en imposer de façon arbitraire. La presse est extrêmement libre, les gens se sentent particulièrement libres et les partis politiques jouent un jeu absolument transparent. Maintenant les gens peuvent être mécontents de telle ou telle action mais, ils peuvent de ne pas décider d’aller dans une opposition, tout en restant et en critiquant de façon extrêmement sévère.
L’important, c’est que la démocratie vive à travers les médias, les partis politiques, la liberté d’expression, d’agir dans un pays. Ensuite on critique un programme de gouvernement. Et ce gouvernement doit faire en sorte que les populations s’en sortent.
Les problèmes de gouvernance au Mali ne peuvent pas être occultés. Quand on voit des dossiers dans la presse, quand on voit comment les ministres sont interpellés sur leur gestion, je pense que les choses vont dans le bon sens. Et le Mali fait partie des pays qui ont accepté l’évaluation des pairs. Cela veut dire que le Mali accepte la critique. Chaque année, Transparency international vient au Mali et donne son point de vue sur tout ce qui s’y passe. L’aspect politique doit être vu à travers la personnalité du président.
Vous avez pris fonction il n’y a pas longtemps. Comment avez-vous été accueilli. Avez-vous trouvé des peaux de banane ? Quelle est l’ambiance au sein de la Commission ?
SC:
La chance que j’ai eue par rapport à tous les présidents qui m’ont précédé, c’est que j’étais dans la maison. Je suis rentré en mars 2003 dans la maison, donc J’ai fait presqu’un an avant d’être porté à la tête de la Commission. J’ai connu les gens. J’ai pu avoir des relations particulières avec ces personnes. Et puis elles ont eu aussi à apprécier mon comportement, ma façon d’être. La deuxième chance que j’ai eue, c’est que j’étais au gouvernement au début de l’UEMOA et la plupart des cadres de ses institutions sont des gens que j’ai connus. Il y a beaucoup de respect entre nous et ceci m’a beaucoup aidé. Ceci dit quand on rentre dans une posture différente, il est évident que les gens vous regardent brusquement avec un nouvel œil. Vous êtes là et tout d’un coup vous êtes directeur général. Même ceux qui vous saluaient en passant, commencent à vous saluer autrement. Vous-même vous vous demandez ce qui a changé.
L’une des premières actions que j’ai eu à mener, c’est de parler avec le personnel. Et cela a été un moment très fort de communion pour mettre les gens à l’aise. Parce qu’il y en a qui croient que comme un tel est parti, on me fera ceci ou cela. C’est de la petitesse et ça n’apporte rien. J’ai géré beaucoup de départements ministériels, j’ai rarement changé les gens. Il faut travailler avec ceux qui sont là.
On ne fait pas une organisation ou un pays avec des gens qui n’existent pas. Si vous n’échangez pas, si vous ne communiquez pas et si vous n’avez pas de relation directe avec les gens, ça ne marche pas. J’ai instauré des réunions régulières avec mon cabinet, mais il y a aussi un espace de dialogue que j’ai ouvert où tous les vendredis après-midi, n’importe quel agent de l’UEMOA peut rencontrer le président sans rendez-vous. Je l’ai fait pendant dix (10) ans au Mali. Souvent je restais au bureau jusqu’à 22 h. C’est bon de parler avec les gens parce que le planton peut vous apporter une bonne information. Ce n’est pas de la délation, mais ce sont des échanges.
C’est la vie qui vous donne la chance à un moment donné d’être en bonne position. Donc, il faut être humble dans nos sociétés.
(…)
Info Matin ( 11/08/2004

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