vendredi 3 août 2007

INTERVIEW

Soumaïla Cissé, président de la Commission de l’UEMOA : "Nous n’allons pas mettre en péril notre agriculture..."
Désignation du gouverneur de la BCEAO et du président de la BCEAO, Programme économique régional (PER), Accords de partenariat économique (APE), libre circulation des personnes et des biens, création d’une compagnie aérienne sous- régionale...Soumaïla Cissé, président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) fait un tour d’horizon de la vie de l’institution communautaire, revient sur le Sommet de Ouagadougou et dévoile les futurs chantiers.
Sidwaya (S.) :
Quels enseignements tirez-vous du XIe Sommet de l’UEMOA tenu à Ouagadougou le 20 janvier 2007 ?
Soumaïla Cissé (C.S.)
: Le XIe sommet de notre Union a été riche en enseignements. Comme la plupart de nos sommets, tous les chefs d’Etat étaient présents. C’est la preuve d’une marque d’intérêt particulier accordée à notre organisation. A ce sommet, les sujets qui ont été débattus aussi bien sur le plan économique que celui politique sont de celui très grande importance. Nous sortons de ce sommet renforcés dans nos convictions que nous sommes sur la bonne voie.
Notre Union marque des points importants. Les orientations données par nos chefs d’Etat à ce sommet devront nous permettre d’avancer encore plus sur les chantiers du développement.
S. : Le Sommet de Ouagadougou était très attendu, étant donné qu’il devait confirmer ou infirmer le gouverneur de la BCEAO et le président de la BOAD. Mais finalement, il a accouché d’une souris. Quels ont été les points d’achoppement ?
S.C. : La désignation des premiers responsables de la BCEAO et de la BOAD a retenu les attentions certes mais en dehors de cela, il y avait à ce sommet, d’autres préoccupations plus importantes telles que l’état de l’Union, les avancées des chantiers, le Programme économique régional, les compensations, les relations de l’Union avec les différents partenaires... Il est évident que la nomination du gouverneur de la BCEAO et du président de la BOAD est un sujet récurrent depuis plusieurs années.
Mais sur cette question, les chefs d’Etat ont estimé que leurs concertations n’ont pas été suffisantes. Il a donc été demandé au président du Faso, Blaise Compaoré, en sa qualité de président en exercice de l’UEMOA, d’entamer une concertation beaucoup plus poussée avec ses pairs en vue de régler cette situation d’ici aux trois mois à venir. Ce qu’il faut retenir également, c’est que malgré cette situation, la BCEAO et la BOAD continuent de fonctionner normalement. Cela ne pose aucun préjudice tant sur la monnaie que sur les projets de développement en cours. C’est la preuve que les chefs d’Etat font l’effort de se mettre d’accord sur l’essentiel.
Aussi, il ne faut pas croire que c’est une situation atypique, propre à la zone UEMOA. On a vu qu’en Europe, la Banque centrale européenne a été sujette à ce genre de difficultés. Ce sont des choses qui arrivent de temps à autre. L’important, c’est de trouver une solution au plus vite et de veiller à ce que la gouvernance des deux banques soit assurée.
S. : Qu’est-ce qui explique le changement de certains commissaires à la Commission de l’UEMOA ?
S.C. : Les commissaires ont des mandats de quatre ans. Cela veut dire qu’à la fin de leur mandature, ils peuvent être appelés à d’autres fonctions par leur pays respectif. A ce sommet, sur un effectif de huit, trois pays ont changé leur commissaire dont chacun avait fait deux mandats. Le changement ne pose aucun problème particulier. C’est dans l’ordre normal des choses.
S. : Le changement de commissaires ne va-t-il pas casser le rythme de fonctionnement de la Commission ?
S.C. : Sur huit commissaires, seuls trois sont partis. Quand j’arrivais, on était quatre nouveaux. Mais le travail a bien continué. Malgré les changements de commissaires, il y a quand même des structures permanentes. Il y a des cadres à l’UEMOA qui ont la responsabilité des principales directions et des principaux dossiers. Certains sont à l’UEMOA depuis 1995. Ils connaissent très bien la maison. La Commission a un rôle politique, un rôle d’orientation. Son travail s’appuie sur les cadres compétents dont elle regorge. Ceux-ci ont fait leurs preuves depuis de longues années.
S. : La libre circulation des personnes et des biens, l’un des fondements de l’intégration n’est toujours pas une réalité après une dizaine d’années. Quelles sont les mesures prises par les chefs d’Etat pour mettre fin aux tracasseries policières ?
S.C. : Les entraves à la libre circulation des personnes et des biens est une question récurrente depuis plusieurs années. Le traité de l’UEMOA consacre la libre circulation des personnes et des biens, le droit d’établissement... Dans notre espace, nous circulons quand même librement. Avec une carte d’identité, vous allez dans tous les pays et dans toutes les villes de l’espace UEMOA. On n’a pas besoin d’un visa ou d’un laissez-passer pour se déplacer d’un pays à un autre dans toute l’Afrique de l’Ouest. Cela est un acquis pour lequel il faut s’en féliciter.
Ceci dit, ceux qui voyagent avec des marchandises font l’objet de contrôles inopinés. Nous en sommes tous conscients. Pendant son mandat, le président du Niger, Mamadou Tanja a pris ce problème à bras le corps. Il a même mis en place des brigades spéciales pour régler ce problème. Cela a amené des Etats à lever les barrières sur certains axes. Mais j’avoue que ce n’est pas encore suffisant. Là- dessus, nous avons pensé qu’il est mieux de désigner des points visibles de contrôle.
C’est le cas par exemple, des postes de contrôle juxtaposés au niveau des frontières. C’est un chantier en cours de réalisation. Nous avons commencé celui de Cinkansé entre le Togo et le Burkina Faso. Nous envisageons la construction d’autres postes de ce type. Ainsi, nous pourrions faire suffisamment de compagnes d’information et de sensibilisation pour indiquer les seuls postes d’arrêt aux citoyens de la zone. Sur cette préoccupation toujours, nous avons organisé une grande rencontre à Ouagadougou qui a réuni les ministres de la Défense, les ministres de la Sécurité, les ministres de l’Intérieur pour attirer leur attention sur le dysfonctionnement.
La libre circulation des personnes et des biens est la clé de l’intégration. Les chefs d’Etat en ont conscience. Pour réussir l’intégration, il va falloir que les gens se sentent libres de circuler. Vu les pratiques sur le terrain, nous sommes partis pour une longue bataille, mais une bataille qu’il faudra gagner.
Concernant le droit d’établissement, nous avons fait des progrès énormes. Le Traité consacre le droit d’établissement. Mais, il faut être patient, pragmatique. Il faut savoir avancer pour ne pas être amené à reculer. Les gens ont parfois des réflexes de conservation. Nous avons réuni certains ordres professionnels (les médecins, les notaires, les experts comptables, les architectes, les pharmaciens, les avocats, les chirurgiens dentistes, etc.) pour parler du droit d’établissement. Après explication, ils ont compris. Le droit d’établissement est désormais une réalité pour ces corps de métier.
Nous avons pris également une mesure similaire pour les étudiants afin que tout étudiant de l’espace UEMOA puisse s’inscrire dans n’importe quelle université aux mêmes conditions que les nationaux.
Le droit d’établissement est un processus en marche. Il va falloir continuer à travailler. Ce n’est pas une affaire des décideurs. Il faut que les populations, surtout celles qui en sont victimes, nous aident à faire changer les habitudes, surtout les mauvaises habitudes afin de faire du droit d’établissement, une réalité.
S. : Un autre fondement de l’UEMOA, c’est également la solidarité instaurée entre les pays membres à travers le prélèvement sur les importations. Une signature de convention a eu lieu récemment entre la Côte d’Ivoire et l’Union pour le paiement des arriérés. Qu’en est-il exactement ?
S.C. : Nous avons un système de financement qui nous permet de ne pas faire cotiser les Etats. Cela consiste au prélèvement de 1% de valeur de douane sur toutes les marchandises qui entrent dans notre zone quel que soit le point d’entrée. Ces montants sont versés à l’UEMOA. Ils permettent de faire fonctionner ou d’investir, mais aussi de payer les Etats qui perdent des droits du fait de l’Union douanière. Ces dernières années, nous avons versé aux Etats plus de 150 milliards de F CFA.
La Côte d’Ivoire est le pays qui contribue le plus. Mais compte tenu de la crise qu’elle traverse depuis 2002, elle a accusé un retard dans le paiement. Ce reliquat se chiffre à 22,9 milliards de F CFA.
La Côte d’Ivoire est prête à s’acquitter de cette somme. Une convention a d’ailleurs été signée à ce propos. La Côte d’Ivoire a alors émis des titres qui sont négociables sur le marché financier avec des échéances particulières. Ces titres sont soumis au gouvernement ivoirien qui les prévoit dans son budget et qui les honore. Concrètement, cela se passe comme si, tout en reconnaissant que je dois payer une dette, je remets des chèques bien sûr, en indiquant les dates auxquelles on doit les encaisser.
Cela permet à la Côte d’Ivoire d’être en règle vis-à-vis de l’UEMOA. C’est un signe important de la volonté de ce pays à honorer ses engagements. Et cela est très encourageant. Car malgré la crise, la Côte d’Ivoire est parmi les pays qui ont le plus de compensations.
S. : Sous l’égide de l’UEMOA, une réflexion a été menée pour la création d’une compagnie aérienne sous-régionale. Où en êtes-vous dans la mise en œuvre de ce projet ?
S.C. : La création d’une compagnie aérienne sous-régionale est un souhait de nos chefs d’Etat. Nous avons inscrit dans le Programme économique régional, une somme d’environ 30 milliards de F CFA pour l’émergence de cette compagnie. Par ailleurs, nous avons créé une société de promotion de la compagnie qui regroupe le secteur privé, la BOAD et la BIDC. C’est une compagnie qui va au-delà de l’UEMOA. La société de promotion est en train de faire les études de faisabilité et la recherche de partenaires. Nous attendons incessamment son rapport. Nous voulons dans cette initiative, éviter de recréer une compagnie aérienne gérée par les Etats.
Nous voulons nous appuyer sur le secteur privé prioritairement. Même si après, il y a une participation des Etats, cela se fera à travers les organisations régionales comme la BOAD ou la BIDC. L’idée de la création de la compagnie aérienne est en chantier.
S. : Les accords de partenariat entre les ACP et l’Union européenne ont été décriés par les producteurs africains, notamment ceux de l’espace UEMOA. Quelle est la position de l’Union à ce sujet ?
S.C. : Les producteurs agricoles sur cette question, s’interrogent sur un aspect qui concerne les produits de base. Nous partageons leur avis. Nous ne pouvons pas fragiliser la base réelle de notre économie qui est notre agriculture. Le secteur agricole est celui qui regroupe le plus de populations dans notre zone.
Sur cette question, nous sommes toujours dans les négociations et à ce stade, chacun apporte ses arguments. La négociation des Accords de partenariat économique (APE) nous permet de sortir l’agriculture du champ ou alors de bénéficier d’un taux de douane complètement différencié pour l’agriculture. Nous n’allons pas mettre en péril notre agriculture sous le prétexte que nous allons signé un accord de partenariat. Ce qui importe dans ce type d’accord, c’est le respect mutuel des conditions posées par chaque partie. Ces conditions sont de deux ordres. Il y a d’abord la mise à niveau de nos entreprises.
Nous ne pouvons pas aller à la concurrence face à des entreprises dont le niveau est nettement supérieur au nôtre. Il faut que nos entreprises soient mises à un niveau au moins équivalant au standard international pour permettre d’augmenter leur capacité d’offre afin de pouvoir faire face au marché. La deuxième condition à remplir est une transition fiscale. L’accord de partenariat signifie aussi une baisse des droits de douane, donc une perte de recettes pour nos Etats.
Il faut alors donner suffisamment de temps aux Etats afin qu’ils se préparent à faire face à la perte de recettes. Il faut qu’avec l’Union européenne, on se mette d’accord sur les montants à dégager pour compenser les pertes de recettes que les accords de partenariat vont provoquer. Ceci dit, il y a un calendrier à respecter. Même si nous signons aux dates prévues, ce n’est pas immédiatement qu’on constatera une baisse des droits de douane. Ça ne se passera pas du jour au lendemain. Les ministres du Commerce ont demandé un délai de trois ans pour se préparer.
A l’UEMOA, nous estimons pour notre part, qu’une période d’un an à un an et demi devra nous permettre d’être à jour. En ce moment, des réunions se tiennent à l’UEMOA sur les accords de partenariat et devront se poursuivre à Bruxelles dans les mois à venir. Les accords concernent plusieurs régions. Nous devons, au niveau des Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) harmoniser nos positions afin d’avoir une position commune face à l’Union européenne.
Il ne faut pas perdre de vue le fait qu’aujourd’hui nous vivons dans un monde ouvert. La mondialisation est une réalité. Il faut composer avec cette nouvelle donne en se dotant des moyens et des capacités nécessaires. Il faut donc travailler à avoir des entreprises solides qui offrent des produits vendables sur le marché. Bien sûr, il faut s’assurer également que nos finances publiques sont bien gardées et que nous ne sapons pas les fondements de notre économie qui repose pour l’essentiel sur l’agriculture.
S. : Que propose l’UEMOA face à la flambée du prix du pétrole ?
S.C. : La flambée du prix du pétrole est une véritable préoccupation. Quels que soient nos efforts, si le prix du baril de pétrole grimpe subitement de 20 à 80 dollars, on ne sait plus quoi faire. Tous nos efforts deviennent caducs. Au sein de l’Union, nous sommes en train de réfléchir à un système d’approvisionnement en commun afin de minimiser les coûts. Le président Abdoulaye Wade a suggéré que les pays non producteurs de pétrole s’organisent pour faire face à la flambée du prix du pétrole.
L’idée est que, vu le coût de production du pétrole (entre 8 et 11 dollars, le baril), un prix de vente de 35 à 40 dollars, le baril est acceptable. Mais aller au-delà devient de la pure spéculation. Le président Wade propose que le surplus au-delà des 40 dollars soit réparti entre les entreprises qui exploitent le pétrole, les pays producteurs et les pays non producteurs. Il faut que l’argent du pétrole profite aussi aux pays non producteurs pour leur permettre d’avancer, de se développer, de maintenir la paix sociale...
Sinon, tout le monde finira par se ruer vers les pays producteurs. Dans le Delta du Niger au Nigeria par exemple, on voit que la production de pétrole ne profite pas aux populations locales. Et cela donne les drames qu’on connaît suite au sabotage des oléoducs, les incendies, les prises d’otages, etc. La nouvelle réflexion sur le partage des bénéfices du pétrole est engagée et doit faire son chemin.
S. : Après 13 ans d’existence de l’UEMOA, qu’en est-t-il de l’Union douanière ?
S.C. : A l’heure actuelle et par rapport à l’Union douanière, sur 5 000 lignes, il n’y a qu’une dizaine environ qui ne sont pas encore bien appliquées. Cela veut dire que globalement, les choses marchent bien. même si ce n’est pas à 100%. Il ne faut pas se faire des illusions. Il y a toujours des réglages à faire.
Mais de façon générale, cela marche du point de vue technique et également du point de vue de l’acception par les opérateurs et les principaux intéressés par l’Union douanière. En tous les cas, le Tarif extérieur commun (TEC) est une réalité. Toutes les marchandises qui entrent dans notre zone sont soumises aux mêmes droits de douane, quel que soit le pays. Ensuite, le tarif préférentiel communautaire fait que tout produit reconnu originaire de la zone est vendu librement sur le marché.
L’Union douanière peut parfois être mis à mal par une malice d’un agent de douane ou d’un contrôleur. Il faut donc de la vigilance à tous les niveaux pour préserver les acquis en termes d’union douanière. Car, lorsque nous comparons le chemin parcouru en 13 ans sur le chemin de l’union douanière avec le niveau atteint par d’autres zones qui nous ont précédés, il y a de quoi se réjouir. Depuis l’année 2000, l’union douanière est effective à plus de 90%.
S. : A quelle étape se trouve le processus d’harmonisation des fiscalités intérieures ?
S.C. : Sur la fiscalité intérieure, il y a deux aspects. Pour la fiscalité indirecte comme la TVA, nous avons fait des avancées réelles. L’harmonisation de la TVA est comprise entre 15 et 20%. De nos jours, sur les 8 pays de l’Union, 6 ont un même taux de TVA (18%). Un autre pays est à 19%. La Guinée-Bissau est en train de faire des efforts pour rejoindre les autres. Sur la fiscalité intérieure directe (l’impôt sur les bénéfices...) par contre, on accuse du retard.
Nous sommes en train de travailler à rattraper ce retard. Là-dessus, un séminaire a été organisé à Bamako sur "la fiscalité du développement". A cette occasion, nous avons recherché les voies et moyens de tendre vers une harmonisation.
De plus en plus, avec les unions douanières, les accords de partenariat et les accords commerciaux en cours avec des pays comme le Maroc, la Tunisie, l’Algérie... les droits de douane vont baisser de même que les recettes douanières. Il va falloir dès à présent, réfléchir à trouver des recettes de substitution. Et celles-ci ne peuvent venir que de l’économie réelle des différents pays. C’est pour cela que l’harmonisation de la fiscalité intérieure directe doit se faire le plus vite possible.
S. : Qu’est-ce que le Programme économique régional ?
S.C. : Le Programme économique régional (PER) relève d’une nouvelle vision dans le processus d’intégration. C’est la première fois qu’une région fait quelque chose d’aussi complet, d’aussi important tant en volume des investissements qu’en volume d’argent. C’est une approche nouvelle. A travers le PER, nous voulons compléter et prolonger les actions de l’Etat.
Nous ne voulons pas au niveau de l’UEMOA, rester enfermés dans l’espace national. Il faut que la volonté d’intégration se traduise concrètement sur le terrain. Le PER est un programme dont l’exécution va nécessiter plus de 3000 milliards de F CFA.
Il est en début d’exécution. Nous avons mis en place des instances de coordination qui regroupent les Etats, les bailleurs de fonds et la Commission de l’UEMOA. Ces instances ont en charge le suivi-évaluation de la mise en œuvre du Programme. Dans l’ensemble, le PER a été bien accueilli et par les organisations internationales et par nos Etats. Au fur et à mesure de son exécution, nous apporterons les corrections nécessaires. C’est un programme ambitieux qui connaîtra une révision chaque année afin de coller mieux aux réalités du moment.
C’est un plus, c’est une nouvelle approche dans le concert des négociations avec les partenaires. Nous sommes la seule région à avoir cet instrument qui est partout bien apprécié. Le PER prend en compte plusieurs axes : consolider la bonne gouvernance et approfondir l’intégration économique, développer les infrastructures économiques, construire un appareil productif intégré, développer les ressources humaines et mettre en place un partenariat pour la mobilisation des ressources et la mise en œuvre du PER.
S. : A combien s’élève le budget 2007 de la Commission de l’UEMOA si ce n’est un secret ?
S.C. : Il n’y a rien de secret. Le budget est transparent, disponible et publié. Le budget est établi en interne et examiné par les experts des Etats membres. Chaque pays envoie deux personnes qui viennent travailler sur le budget pendant une semaine. Par la suite, le budget est débattu en Conseil des ministres pour y être adopté. Pour l’année 2007, notre budget est de 87 milliards de F CFA dont 55% à peu près sont financés sur nos ressources. Le reste est financé par les partenaires au développement.
Une partie de notre budget est destinée au fonctionnement des organes (la Commission, la Cours de justice, la Cours des comptes, le Comité interparlementaire, la Chambre consulaire régionale, les réunions des ministres, la Conférence des chefs d’Etat...). Une autre partie est réservée aux investissements.
La troisième partie est utilisée pour compenser les moins values de recettes au sein des Etats. Le paiement des moins values de recettes a été arrêté en 2005 mais à ce jour, nous continuons de payer les arriérés. Mais, on pense que d’ici à la fin de 2007, on aura fini avec le paiement des arriérés. La part réservée aux compensations sera alors réversée dans le budget d’investissement. Ainsi, à l’avenir, 70 à 80% de notre budget sera consacré aux investissements, donc consacré aux populations dans les différents pays.
S. : Quel est l’état de la coopération entre l’UEMOA et certaines organisations telles que la CEDEAO, l’Union européenne, l’Union africaine ?
S.C. : La CEDEAO est notre grand frère naturel. Nous avons des relations très suivies avec la CEDEAO. Il y a des aspects sur lesquels on est en avance par rapport à la CEDEAO et d’autres pour lesquels on prend exemple sur elle. Il existe entre nos deux institutions, deux rencontres annuelles (à Ouagadougou et à Abuja). Nos cadres travaillent de façon concertée. Dans les négociations sur les APE, ce sont la CEDEAO et l’UEMOA qui ont été déléguées au titre de la sous-région. Avec l’Union européenne, nous sommes en bons termes. Elle nous a beaucoup aidé au départ. Dans le cadre du 9e FED, l’Union européenne a mis 239 millions d’euros à la disposition de la région Afrique de l’Ouest. Pour le 10e FED, cette somme a évolué à environ 470 millions d’euros.
Nous avons aussi de bonnes relations avec la Banque africaine de développement (BAD) qui finance la construction de routes et d’autres projets au profit des populations. Avec le gouvernement français, on a signé des accords à long terme d’environ 20 millions d’euros par an. Nous avons aussi des relations avec les Hollandais sur tout ce qui concerne la bioénergie mais aussi avec la Banque mondiale, le Fonds monétaire international. Des organisations telles que l’ONUDI nous aident pour la remise à niveau des entreprises. La FAO quant à elle, intervient pour la sécurité alimentaire et l’aménagement des terres.
Nous envisageons d’aménager 5 000 ha de terre à l’Office du Niger. L’UEMOA entretient par ailleurs des relations importantes avec l’Union africaine. De nos jours, le développement de l’Afrique s’inscrit dans le NEPAD. Le PER pour nous, constitue notre part de contribution à la mise en œuvre du NEPAD.
S. : Le géant chinois est de plus en plus présent sur l’espace UEMOA. La Chine est même rentrée dans le capital de la BOAD. Aussi, elle était présente aux journées du développement à Lomé. La Chine est-elle courtisée ou fait-elle peur à l’UEMOA ?
S.C. : L’UEMOA n’a pas du tout peur de la Chine. Parmi les non-régionaux, la Chine est celle qui a le plus de part dans le capital de la BOAD. Nous avons organisé les journées UEMOA/Chine à Lomé, à l’initiative de la BOAD pour mettre en contact des entreprises chinoises et des entreprises de notre espace. Nous pensons de plus en plus qu’il faut travailler avec ceux de la richesse et qui créent des emplois.
L’UEMOA n’est la chasse gardée de personne. Nous travaillons pour nos intérêts. La Chine et l’Inde ont manifesté par ailleurs leur intérêt à travailler avec nous sur les projets de chemin de fer et de création d’une compagnie aérienne. Nous sommes absolument ouverts. Ces derniers jours, nous avons reçu une équipe d’entreprises de la Bretagne venue nouer des contacts d’affaires avec des entreprises burkinabè.
Après le Burkina Faso, les hommes d’affaires de l’Association Bretagne internationale s’en iront au Togo et au Bénin. Dans un an ou deux, ils iront au Sénégal, au Mali... Ce sont ces types de relations que nous travaillons à impulser. Nous voulons non seulement créer de la richesse, mais une richesse durable. La richesse durable pour nous, ce sont des entreprises compétitives qui échangent, qui font des profits. Nous avons des choses à offrir dans un esprit de partenariat, d’égalité, d’équité et d’échanges.
S. : Le coton, principal produit d’exportation de certains pays de l’Union traverse une crise. Que faites-vous face à cela ?
S.C. : La question du coton est très importante en ce sens qu’il occupe une position prépondérante dans les économies de certains pays (le Burkina Faso, le Bénin, le Mali). Dans ces pays, le coton est la principale culture d’exportation, l’activité qui occupe le plus de populations. On estime à environ 10 millions de personnes, les populations de notre espace qui vivent du coton. Mais à l’heure actuelle, le cours mondial du coton est très bas. Ce cours est estimé en dollar qui est en ce moment bas par rapport à l’euro, donc par rapport au franc CFA.
Aussi, la filière coton dans nos pays souffre des subventions énormes que certains de nos partenaires, en particulier les Etats-Unis d’Amérique et dans une moindre mesure, l’Union européenne ne cessent d’accorter à leurs agriculteurs. A l’UEMOA, nous avons un agenda coton que nous sommes en train de mettre en œuvre. Il s’agit de trouver les moyens de transformer d’ici à 2015, environ 25% de notre production. Aujourd’hui, nous en sommes à 2%. C’est très faible. Nous nous battons sur l’arène internationale à l’OMC pour l’arrêt des subventions afin de permettre à notre coton, d’atteindre un niveau de prix acceptable.
Sinon, nos paysans sont pénalisés. Nous courons également vers la fermeture des usines... Aujourd’hui, la plupart des sociétés pétrolières affichent un déficit énorme en milliards de F CFA. Une menace sérieuse pèse sur la filière. Le dossier coton nous tient vraiment à cœur. J’ai été particulièrement heureux de constater que parmi les membres de l’équipe des hommes d’affaires breton (France), il y en a qui s’intéressent au coton biologique, un coton produit naturellement sans pesticide. Ce type de coton est vendu 60% plus cher sur le marché mondial. Le coton biologique peut constituer une solution pour la survie de la filière coton.
S. : Quelle est la position de l’Union sur des sujets tels que l’annulation de la dette et l’immigration clandestine ?
S.C. : Chacun des pays africains a un programme avec les différentes institutions de Bretton Woods et d’autres partenaires. L’annulation de la dette permet de réduire de façon significative, les difficultés de nos pays. Mais, il ne faut pas que l’annulation de la dette soit un tarissement du financement. Il ne faut pas non plus que suite à l’annulation de la dette, l’on dise aux pays pauvres de se contenter des dons et de ne plus s’endetter. Nous échangeons actuellement avec une équipe du FMI sur ces questions.
A l’UEMOA, nous sommes animés du souci de convergence des politiques macroéconomiques. Nous voulons que les politiques en matière de finance publique soient les mêmes dans tous les pays. Il faut donc une harmonisation sur le système de la dette. Aussi, nous contribuons à ouvrir les portes de certains financements à nos pays en bonifiant par exemple, les taux d’intérêt. Certains prêts de la BOAD sont à des taux d’intérêts qui ne sont pas compatibles avec les accords que nous avons avec le FMI. Face à une telle situation, nous, nous bonifions le taux d’intérêt pour essayer de baisser la charge.
Pour ce qui est de l’immigration clandestine, le sujet a été abordé par les chefs d’Etat. Tout le monde regrette les drames qui en découlent. La solution contre l’immigration clandestine, c’est de créer le développement au niveau le plus près des populations. C’est en cela qu’il faut accélérer les réformes, sensibiliser les partenaires sur le fait que la solution contre l’immigration clandestine ne saurait se réduire à l’érection de murs et de barrières de toutes sortes ou au rapatriement des clandestins dans leurs pays.
Ils doivent nous aider à faire en sorte que nous puissions créer des emplois pour les jeunes afin que ceux-ci se stabilisent dans leurs pays. En Europe par exemple, avant l’entrée du Portugal dans l’Union européenne, il y avait une forte immigration de Portugais vers la France. Mais depuis, les investissements massifs faits au Portugal ont provoqué le flux contraire.
S. : On dit souvent de l’UEMOA qu’elle est l’affaire des élites. Qu’envisagez-vous de faire pour que les populations se l’approprient ?
S.C. : L’UEMOA, aujourd’hui, ne peut être vue comme une affaire des seules élites. Les actions de l’UEMOA sont perceptibles sur le terrain et profitent à tous. Les projets qui seront mis en œuvre dans le cadre du PER, notamment les routes, les forages, les aménagements des terres sont pour tout le monde. Dans tous les pays de l’Union, il y a des journalistes économiques qui s’intéressent à ce que nous faisons et qui le font savoir aux populations. Au Burkina, nous avons réuni les leaders d’opinion, les chefs traditionnels, les journalistes en langues nationales... pour échanger avec eux sur l’UEMOA.
Dans les différentes télévisions des Etats membres est diffusé un magazine sur l’UEMOA...Notre Union est connue dans le monde entier. Nous avons fait beaucoup de communications.s Et nous allons continuer dans ce sens. C’est vrai que l’effet médiatique est plus visible quant il s’agit de réunir des chefs d’Etat ou des ministres.
Mais avouons qu’à l’heure actuelle, ils sont nombreux ceux qui ont entendu parler de l’UEMOA même si tous n’ont pas le même niveau d’informations ou de connaissances de l’institution. L’UEMOA a fait du chemin. Elle avance. C’est ce que nous tentons de faire comprendre à nos concitoyens. Nous faisons en sorte que les populations comprennent que l’UEMOA est l’affaire de tous. Nous devons mettre nos efforts en commun pour réussir.
S. : La crise ivoirienne persiste et met à mal toute l’Union. Comment vivez-vous cela à la Commission de l’UEMOA ?
S.C. : La crise ivoirienne est génante à la fois pour les Ivoiriens qui voient leur pays coupé en deux, mais aussi pour les citoyens de l’UEMOA. Les circuits économiques sont devenus plus longs donc plus coûteux. Du fait de la crise, l’ensemble de notre région peut être mal perçu. Par ailleurs, en de pareilles situations, la sécurité de l’investissement n’est pas garantie. La Côte d’Ivoire était autrefois un exemple, un succès pour la sous-région.
Quand le succès s’étiole, cela pose un véritable problème. Au dernier Sommet de la CEDEAO, une nouvelle démarche de sortie de crise a été proposée par le président Gbagbo, à savoir le dialogue direct avec Guillaume Soro. Notre souhait est qu’on sorte au plus vite, de cette situation difficile pour tous.
S. : Quel est en ce moment, le niveau de l’inflation dans la zone ?
S.C. : A l’heure actuelle, l’inflation dans la zone est maîtrisée à moins de 3%. C’est un bon niveau. Un taux d’inflation très élevé détruit le pouvoir d’achat. L’inflation déstabilise les plus démunis qui voient leur pouvoir d’achat s’éroder. Malgré la situation globale, la solidarité permet de maintenir l’inflation à un bon niveau. Les agrégats macroéconomiques présentent un bon visage, toute chose qui permet à notre Union de rester solide. Ç’aurait été un seul pays qui vit la présente situation de crise, que sa monnaie été aurait dévaluée.
S. : L’idée de la création d’une monnaie commune à la sous-région est-elle toujours d’actualité ou relève-t-elle désormais du passé ?
S.C. : La monnaie commune est prévue pour l’ensemble des quinze pays de la CEDEAO. Le schéma envisagé est le suivant : le franc CFA des pays de l’UEMOA cohabitera avec une autre monnaie commune aux sept autres pays dont l’ensemble constitue la CEDEAO. A terme, il est prévu une fusion de ces deux monnaies pour n’en faire qu’une.
S. : Quel est votre message pour les citoyens de l’espace UEMOA en ce début d’année 2007 ?
S.C. : Mon message à l’endroit des populations de l’Union est le suivant : "Avec la paix, tout est possible". Nous avons des ressources humaines de qualité et des ressources naturelles abondantes. Nous avons également des valeurs très fortes comme la solidarité qui nous permet d’être ensemble et de tenir le coup. Nous sommes bien partis pour réussir dans la paix.
Interview réalisée par Rabankhi Abou-Bâkr ZIDA Jolivet Emmaüs Hamadou TOURE
Sidwaya vendredi 2 février 2007.

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