mercredi 11 novembre 2009

Intervention de Soumaïla CISSE

« Quel cadre pour les politiques agricoles, demain, en Europe et dans les
pays en développement ? »
Colloque des 27, 28 et 29 novembre 2006
organisé par Notre Europe, Pluriagri et FARM
Intervention de Soumaïla CISSE, président de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Afrique
(UEMOA)
29 novembre 2006
Je voulais commencer par une profession de foi et m’exprimer avec sincérité. Nous sommes ici
pour parler franchement les uns avec les autres. Sans honnêteté, il n’y aura pas de solution aux APE.
Je suis un fils de paysan. Parce que mon père a eu la chance d’aller à l’école, (ce qui ne fut pas le
cas de ses frères et soeurs), j’ai eu, moi aussi, la chance d’y aller. Je suis issu d’un village où, à mon
enfance, vivaient plusieurs centaines de personnes. Aujourd’hui, mon village s’est vidé. Il y a une école de
six classes que j’essaie tant bien que mal d’aider en envoyant des livres scolaires. Pourquoi un tel vide ?
Tout le monde aspire à l’électricité, à l’eau potable, en somme, tout le monde aspire à s’installer en ville.
L’aspiration des paysans, ce n’est pas de rester indéfiniment paysans.
Quelle agriculture voulons-nous pour demain ? Je n’ai rien à reprocher aux ONG, mais savez-vous
quelle est l’agriculture type ONG ? Exploitation de type A, exploitation de type B, de type C, telle culture
parce que le sol est ainsi, culture bovine ou asine parce que le sol est comme cela, etc. Mais, ce n’est pas
cela l’avenir ! L’avenir repose sur une agriculture moderne, plus compétitive, plus performante. Au Mali, j’ai
travaillé pendant huit ans dans une entreprise cotonnière : la CMDT [Compagnie Malienne pour le
Développement des Textiles]. Le rendement était de 1400 kg/hectare, aujourd’hui, il est à peine de 900
kg/hectare La productivité a terriblement baissé.
Quelle est notre vision de notre agriculture ? Quelle est notre vision de notre monde rural ? Allonsnous
contribuer à maintenir 70 % de nos concitoyens dans le monde rural ? Nous avons rompu avec
l’ancien système étatique. Aujourd’hui, nous avons des Etats différents. Il faudrait, alors, également rompre
avec le mode de production actuel. Nous avons des méthodes traditionnelles et nous sommes dans un
monde moderne. Il y a une rupture entre les forces productives et les rapports de production. Cette
question est fondamentale, et si elle n’est pas réglée, nous ne pourrons pas avancer. Au niveau des
élevages, il y a le même problème. Vous avez des vaches qui produisent un litre de lait par jour. Vous avez
un éleveur qui est fier parce qu’il a trois cents têtes de bétail. Il passe sa journée derrière ses bêtes, allant
de pâturage en pâturage. Mais comment gagne-t-il sa vie ? Il ne vend pas son lait, il ne vend pas la viande
de ses vaches. Il se croit riche mais il ne l’est pas.
Colloque "Quel cadre pour les politiques agricoles, demain, en Europe et dans les
pays en développement ?" – 27, 28 et 29 novembre 2006
Comment pouvons-nous arrêter cette manière de penser ? Comment régler ce problème ?
Certainement pas en nous plaignant. Je suis convaincu que même dans un pays comme la France, en
passant du quai d’Orsay à celui de Bercy, il est impossible de régler ce genre de problème. Pour ce faire, il
faut s’adresser directement aux entreprises.
Je suis allé en Bretagne, qui est la première région européenne en agro-alimentaire. Elle est plus
riche que toute l'UEMOA, c’est-à-dire les 8 pays de notre Union, réunis. Ses agriculteurs produisent quatre
milliards et demi de litres de lait. Ils viennent de relancer, avec leur secteur privé, le lait en Algérie. Ce sont
des gens comme cela qui nous intéressent. Le 22 janvier 2007, ils seront à Ouagadougou puis à Cotonou.
L’année prochaine, ils seront à Dakar et à Bamako. Soixante entreprises seront présentes. Elles ne
viennent pas nous faire la charité, elles viennent pour faire des affaires avec leurs homologues. Ce sont de
tels rapports qu’il faut instaurer, des échanges, comme il est dit maintenant « gagnant/gagnant ». Il faut
que les producteurs s’associent. Là, dans de telles associations, se trouvent les occasions intéressantes.
Je viens de Lomé, j’étais avec les représentants de soixante entreprises chinoises de différents
secteurs. Nous leur proposons de venir travailler avec nos entreprises.
Sur les APE, ce qui est important pour nous, c’est notre capacité de négociation. Et celle-ci est
faible Dans le sigle « APE », la lettre la plus importante est le « A » pour « accords ». La FAO demande :
quel en est l’objectif ? L’objectif est un accord qui sera signé.
Quelle est l'alternative aux APE ? Si les APE ne sont pas signés, qu’est-ce que cela va vraiment
changer pour nous en Afrique ? Les échanges à l’intérieur de nos régions représentent 12 à 13 % et le
reste des échanges se réalise avec l’Europe, de façon générale. APE ou pas, nous achetons à l’extérieur, et
ceci nous différencie de l’Union européenne. Nous sommes déjà dans un système qui est perverti, qui est
réorienté vers l’extérieur. Les APE devraient améliorer cela et nous permettre d’avoir plus de chances
d’accéder au marché. Nous avons insisté auprès de nos partenaires sur l’aspect du développement. Si celuici
n’est pas au rendez-vous, même si les frontières sont ouvertes, il n’y a pas de pouvoir d’achat, et les
gens ne commercent pas. Pour que le marché soit solvable, les gens doivent travailler. Ainsi, ils auront un
revenu et un pouvoir d’achat.
Les APE n’ont aucune chance de réussir si l’aspect développement est occulté, si dans les régions
les plus pauvres, les entreprises ne sont pas remises à niveau et si les problèmes fiscaux ne sont pas
réglés. La majorité de nos Etats tirent leurs principales ressources des droits de douane. Tant que les
réformes à l’intérieur ne permettent pas de trouver des ressources fiscales internes, il n’y aura pas de
solution, car les finances publiques des Etats s’écrouleront, et les situations ne seront pas soutenables. Les
APE ne sont pas pour autant une camisole de force.
Colloque "Quel cadre pour les politiques agricoles, demain, en Europe et dans les
pays en développement ?" – 27, 28 et 29 novembre 2006
Notre but dans notre zone est de continuer la dynamique qui existe, nous travaillons avec la
société civile, avec le ROPPA et d’autres, en vue d’améliorer cela. C’est d’ailleurs peut–être pour cela que
nous sommes un peu en retard, les autres disent qu’ils sont en avance, cela ne m’inquiète pas. L’important
est de savoir ce que nous voulons. Nous allons par ailleurs préciser nos objectifs en décembre lors de la
réunion à Ouagadougou avec nos chefs d’Etat et les Commissaires européens. Quand nous parlons de
développement, de transitions fiscales, de mise à niveau des entreprises, parlons-nous exactement de la
même chose ? Parlons-nous le même langage ? Je n’en suis pas convaincu.
En ce qui concerne l’agriculture, je suis d’accord avec le ROPPA. S’il y a un problème avec les tarifs
extérieurs, il faut le régler. Mais, avant, notre tarif extérieur commun, nos tarifs extérieurs étaient plus
élevés, et pourtant notre agriculture n’en a pas profité. Les problèmes de fiscalité ne suffisent donc pas à
impulser les investissements. Il doit y avoir certainement d’autres critères, peut-être plus attrayants
psychologiquement. Il y a la vision de ce qu’il faut et celle de ce qui se passe au quotidien, que les pouvoirs
publics se doivent de régler sans attendre que leur vision à long terme soit concrétisée.
Il y a deux aspects que Erik Orsenna a soulevés, notamment celui de la démographie. J’aimerais y
revenir. Avec une démographie galopante, il y a automatiquement une pression sur la production agricole.
S’il y a une pression, il y aura une pression des consommateurs et une pression en faveur de l'importation
de produits alimentaires moins chers.
L’agriculture doit donc sortir de sa dépendance et être beaucoup plus productive. Si elle est beaucoup plus
productive, elle libérera des bras. Il y a deux aspects sur lesquels il faut travailler. La démographie d’un
côté, et d’un autre la transformation de l’agriculture, pour que les bras qui vont se libérer n’aillent pas en
ville, ne connaissent pas le chômage, ne traversent pas la Méditerranée, ne viennent pas ici.
J’ai une belle phrase qui a été dite à Bruxelles : « Pour l’Afrique, continuer d’exporter des matières
premières est la plus mauvaise des gouvernances. La matière première vendue au Royaume-Uni à un dollar
le kilo, revient à l’Ouganda, après transformation, à 15 dollars le kilo. Qui aide qui ? Je considère que c’est
l’Ouganda qui subventionne votre café. Il en est de même pour le coton.
Aujourd’hui, les Chinois veulent des matières premières d’Afrique. L’exportation de matières
premières doit être incluse dans les critères de mauvaise gouvernance. »
Nous devons avoir une agriculture qui soit plus prospective. Aller à un niveau de transformation
suffisant pour pouvoir absorber cette main d’oeuvre supplémentaire. Nous n’avons pas besoin de 70 % de
la population pour nourrir l’Afrique. Il faut oeuvrer dans ce sens et pour ce faire, il faut agir sur la
démographie, sur la transformation des matières premières et sur la productivité.
Le deuxième aspect que je vais aborder, à l’instar de Erik Orsenna, est celui de la monnaie.
L’exemple que je cite concerne la CMDT où j’ai travaillé. En 1994, cette société qui était la plus importante
du Mali, qui réalise 15 % du PIB, 60 % des exportations a connu un déficit de 20 milliards de francs CFA.
Colloque "Quel cadre pour les politiques agricoles, demain, en Europe et dans les
pays en développement ?" – 27, 28 et 29 novembre 2006
L’année suivante, la même société avait 20 milliards de bénéfice. Tout simplement parce que la monnaie
joue un rôle de levier extraordinaire. Mais le problème est la bonne gestion de la monnaie. La parité fixe,
unique dans le monde, entre l’euro et le franc CFA doit être bien gérée. Autrement, nous risquons les
mêmes problèmes que la Guinée et le Zimbabwe avec l'inflation, qui est toujours néfaste aux plus pauvres.
Il s’agit donc d’un couteau à double tranchant. Il faut savoir comment négocier. Nous bénéficions de la
parité fixe, nous bénéficions de la garantie de convertibilité. Laquelle est la plus importante ? Nous faut-il
les deux ? Ce débat appartient aux économistes et aux monétaristes.
En ce qui concerne le tarif extérieur commun agricole, nous sommes ouverts à tout changement,
ce débat ne sera pas difficile à conduire.
Pour conclure, j’aimerais vous faire part de l’image tirée du livre de Hernando de Soto Le mystère
du capital : Pourquoi le capitalisme triomphe en Occident et échoue partout ailleurs ? Il utilise la
métaphore de quatre aveugles rencontrant un éléphant. Le premier touchant la patte croit qu’il s’agit d’un
arbre, le deuxième prenant la trompe pense qu’il s’agit d’un serpent, le troisième touchant la queue croit
qu’il s’agit d’une corde, le dernier touchant les oreilles s’imagine qu’il s’agit de voiles. Cette histoire
démontre que chacun est resté dans son coin. Pour résoudre les problèmes, il faut en faire une analyse
globale. Il n’y a pas que le problème du commerce ou celui de l’agriculture, il y a aussi l'éducation, la santé,
les infrastructures, la gouvernance, etc. S’il n’existe pas des services publics qui fonctionnent normalement,
un Etat qui oriente les choses, il n’y a pas de résultat positif. Il faut faire ensemble les choses.
Tout dernier point, je fais appel au philosophe français Edgar Morin qui dit que « dans une société
en évolution rapide, l’important n’est pas l’expérience accumulée mais l’adhérence au mouvement ».
Aujourd’hui, les choses bougent vite. Nous ne pouvons pas nous arrêter pour réfléchir à comment
nos grands-pères se sont comportés ou miser sur les clichés. En agissant d’une telle manière, nous
laisserons passer un train qui ne s’arrêterait plus.
Merci beaucoup.

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