mardi 17 août 2010

INTERVIEW NEW AFRICAN

Soumaïla Cissé, président de l’Uemoa :

Appliquons la bonne gouvernance chez nous

Avec un budget annuel de 155 milliards de F.CFA et 350 employés, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa)* œuvre à l’intégration régionale,
en tentant de réussir son mode de gouvernance. Le Malien Soumaïla Cissé, Président de cette institution, met à profit son expérience d’ancien ministre des Finances, pour
permettre à cet ensemble de penser global et de réagir local.
Propos recueillis par Hichem Ben Yaïche

Quelques mois après la conférence annuelle des chefs d’État, où en êtes-vous de l’application des décisions prises lors de cette rencontre ?
La conférence annuelle des chefs d’État est une rencontre périodique qui sert à réorienter notre action. Celle-ci a coïncidé avec certaines difficultés qui se sont manifestées dans la zone. D’abord celles liées à la gouvernance politique, en particulier au Niger et en Côte d’Ivoire. Les chefs d’État ont ainsi pu s’informer et dire ce qu’ils pensaient de la situation dans ces deux pays afin de tenter de trouver des solutions de sortie de crise. On peut se féliciter, aujourd'hui, que les initiatives soient restées d’ordre interne à notre Union. Et c'est cela le plus important. Au-delà de ces sujets, les responsables politiques se sont penchés sur la crise financière internationale et ses effets, sur la crise alimentaire de 2008 et ses conséquences. Aujourd'hui, on parle bien de famine au Niger. Ce qui veut dire que la situation n’est toujours pas réglée. Dans ces conditions, il nous faut prendre le taureau par les cornes !

Quels sont, concrètement, vos moyens pour faire face aux situations de crise ?
Notre démarche se décompose en deux phases. La phase d’urgence : quand on a une crise alimentaire, on ne peut tirer des plans sur la comète. Il faut agir tout de suite. Quand il y a des inondations – ce qui s’est passé ces derniers temps – il faut passer à l’acte. Idem pour la crise énergétique, etc. Notre Union a quelques ressources qui ne sont pas suffisantes, mais qui nous permettent de faire face très rapidement aux situations. Par exemple, pour les inondations, nous avons pu donner, pour chaque pays, quelque 250 millions de F.CFA. Face à la crise alimentaire, l’Union a dégagé 40 milliards de F.CFA, avec la possibilité d’aller jusqu'à 100 milliards de F.CFA en complétant par des prêts auprès de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), et d’autres partenaires. Voilà une illustration de ce que nous faisons concrètement. C'est pourquoi nous envisageons, à court terme, de créer un Centre d’urgence dédié aux calamités naturelles.

L’autre phase, c'est l‘investissement. C'est ainsi que dans le domaine de l’agriculture, par exemple, nous sommes en train de voir comment investir, dans chaque pays, 1 000 ou 1 200 hectares, pour avoir une politique cohérente dans ce domaine – améliorer et augmenter la production notamment. Par conséquent, notre action intègre autant le très court terme que le moyen terme à travers des plans et des programmes…

Comment les orientations prioritaires sont-elles fixées ?
Nous fixons les priorités avec les États dans tous les secteurs : industrie, agriculture, énergie, etc. Pour être plus clair : à partir d’études que nous menons, nous réunissons tous les partenaires autour d’ateliers pour nous mettre d’accord sur les priorités du moment. Ce que nous avons le mieux réussi, de ce point de vue, c'est la mise en place d’un programme économique régional qui s’étale sur cinq ans, dans lequel une part importante est consacrée aux infrastructures : routes, chemins de fer, énergie, télécoms. Mais on y valorise aussi les ressources naturelles (agriculture, environnement, etc.). À l’évidence, les ressources humaines, l’éducation, la santé…, en font partie. Dans tout cela, la bonne gouvernance s’inscrit en filigrane. Ces moments nous permettent de nous mettre d’accord sur ce qui nous paraît essentiel pour la région, et qui fédère tous les États. Ce travail a fait l’objet, en 2006, d’une table ronde, à Dakar, et le programme a été évalué à quelque 4 000 milliards de F.CFA, sur cinq ans. Sur 63 projets, 44 ont effectivement démarré. Pour les autres, le financement est encore insuffisant, ou bien, il s’agit de préciser tel ou tel aspect. Tous les ans, on réactualise ce programme, en essayant de l’adapter aux réalités du moment.

Comment se fait l’articulation entre les politiques intérieures des États et votre organisation ?
Le grand principe reste la subsidiarité : nous ne faisons pas ce que les États sont en mesure de bien faire et vice-versa. À cet égard, délimiter les frontières, c’est toujours délicat. Mais nos actions se font forcément à l’intérieur des États. Nous essayons de faire en sorte que les priorités que nous définissons pour la région soient acceptées par tous les pays. Par exemple, si l’investissement choisi doit se faire dans un État A, tous les autres l’acceptent. Ce genre d’action est important et procurera, à n’en pas douter, un bien-être pour l’ensemble de l’Union. Il y a des arbitrages permanents. C'est de cette manière que nous travaillons. Nous avons un Conseil des ministres statutaire qui, tous les trois mois, se penche sur nos orientations et nos priorités. Et, une fois par an, nous organisons une conférence des chefs d’État pour évaluer notre travail. Ceci dit, nous, en tant que Commission, nous faisons des allers et retours réguliers pour réajuster les choses, pour être sûr que cela se passe bien. Et je vous assure : ça se passe bien !

Comment sont traités les sujets qui fâchent ? Et comment parvenez-vous à les dépasser ? Comme, par exemple, le sujet de la gouvernance…
À propos du Niger, les chefs d’État ont condamné clairement le coup d’État et ont demandé un retour à la vie constitutionnelle. À ce propos, ils ont déploré les pertes en vies humaines, tout en disant : « Allez-y, allez-y… mais, il faut régler ces problèmes le plus rapidement possible. »

La gouvernance, c'est aussi la démocratie, la transparence…
À propos de transparence, en matière de finances publiques par exemple, il y a des directives qui sont appliquées par tout le monde. À cet égard, nous avons une sorte de « revue des pairs » pour faire le point, chaque année, sur les réformes qui sont menées et celles qui ne le sont pas ; les pays qui respectent le pacte de stabilité et ceux qui ne le respectent pas, etc. Le programme de chaque État est jugé, sur les trois années, par la Commission. Laquelle donne son aval ou non, en disant : « Le programme n’est pas bon, reprenez-le… » Et, les États le reprennent. Au niveau des Présidents, nous faisons un diagnostic détaillé, pays par pays, sur les actions à mener. Par exemple, en ce moment, je suis en train de préparer un courrier – pays par pays et secteur par secteur – pour dire aux chefs d’État : « Dans tel ou tel secteur, vous êtes en retard. ». Par conséquent, ce contrôle et ce dialogue permanents permettent d’avancer. C’est ce travail qu’il faut poursuivre, car l’intégration est un processus. Cela ne se fera pas en un jour. Il faut des apprentissages. À cet égard, il y a des pays qui sont très en avance dans certains domaines, d’autres beaucoup moins. Je crois que l’émulation autour de la meilleure pratique entre les États permet vraiment de corriger tout cela. Chez nous, aucun sujet n’est occulté ou caché.

Comment gérez-vous cette organisation au quotidien ?
C'est une organisation complexe, cela ne fait guère de doute. Car nous abordons tous les aspects de la vie des États. J’ai un collège de commissaires représentant chaque pays. Mais ces commissaires, une fois intégrés dans notre structure, parlent au nom de tout le monde. Chacun gère un secteur. Moi, je m’occupe de la coordination et aussi de la relation avec les États. Cela exige beaucoup de voyages, de rencontres et de communication avec les décideurs. Et c'est ainsi qu'on y arrive. Cependant, le plus important est de bien orienter, de tenir compte des différentes phases de la vie de notre organisation et d’avoir surtout des résultats. Pendant ces derniers dix ans, nous nous sommes beaucoup plus occupés de politique, de finances publiques et de macroéco-
nomie. Ce qui compte, c’est notre agenda, mais pas celui des Européens, des Américains ou des Chinois. Nous devons faire en sorte que 70 à 80 % de nos échanges se fassent entre nos pays.

Aujourd'hui, nous sommes passés à la phase d’écoute des populations, en leur disant : « Quels sont vos besoins ? Vous avez besoin de forages ? Eh bien, on vous fait des forages. Vous avez besoin de routes ? Eh bien, on vous fait des routes, etc. » Voilà ce que nous faisons. C’est de cette façon que, petit à petit, on parvient à réorienter des priorités, à rendre efficientes nos actions ! Certes, ce n'est pas toujours facile, mais je crois que nous avons aujourd'hui une expérience, et surtout, un retour d’expérience. Aujourd'hui, notre région est jugée de façon positive par rapport aux autres régions d’Afrique. C'est ce qui nous encourage à continuer sur le bon chemin.

Quels sont vos moyens d’évaluation de l’intégration régionale ?
Nous disposons de plusieurs niveaux d’évaluation. Il y a une Cour des comptes pour procéder à l’évaluation économique et financière ; nous réalisons des audits externes et des rapports qui sont soumis à nos différentes instances : Conseils des ministres, chefs d’États, etc., pour voir si nous gérons au mieux. C'est bien d’inciter les acteurs à la bonne gouvernance, mais il faut, d’abord, l’appliquer chez soi.

Ces rapports ne restent donc pas dans les tiroirs…
Bien sûr que non ! On est interpellés. Ce sont des organisations absolument indépendantes. La Cour des comptes est une institution, comme la Commission de l’Uemoa, comme la Cour de justice ou la Chambre de conseil régionale. En plus, nous avons un système de validation technique et financier avec nos partenaires, comme, par exemple, dans le cadre du programme économique régional. Je viens de mettre en place un panel qui est en train de réfléchir sur l’avenir de l’Uemoa dans lequel il y a d’anciens Premiers ministres, etc. Que faire demain ? Vers quoi devons-nous nous orienter ? Quel doit être notre cœur de métier ?… Cette étude prospective est en cours. Cela va nous permettre d’avoir une visibilité, de projeter l’Uemoa sur les 20 ou 30 prochaines années : en matière de ressources humaines, de financement, de programmes prioritaires, de réflexion tant sociologique qu’humaine… Nous remettrons ce rapport à notre Conseil des ministres, et le transmettrons aux chefs d’État.

Une question taraude les Africains : celle de la pénétration chinoise sur le continent. Votre région est aussi concernée. Comment jugez-vous cette réalité ?
Je ne me pose pas cette question en ces termes. Les Européens sont en Afrique depuis 150 ans et, parfois, 300 ans. Personne ne s’en est inquiété ! Cela ne m’inquiète pas. L’important, c'est notre capacité de négociation : à nous de savoir ce que l'on veut ! Les Chinois ne viendront pas si l’on n’est pas d’accord… Aujourd'hui, les problèmes d’infrastructures sont réels. En tant qu’ancien ministre des Finances, j’ai discuté avec des bailleurs de fonds. Pendant longtemps, les infrastructures étaient considérées par nos partenaires traditionnels comme des choses inutiles. Je crois qu’aujourd'hui, tout le monde est convaincu qu’elles sont indispensables. En Afrique de l’Ouest, les Chinois sont beaucoup plus présents sur des chantiers d’infrastructure. Va-t-on s’en plaindre ? Certainement pas ! Je crois qu'au contraire, il faut s’en féliciter. Quels que soient nos partenaires, l’essentiel est de savoir où se situent nos priorités. Ce qui compte, c’est notre agenda, mais pas celui des Européens, des Américains ou des Chinois. Notre objectif est d’avoir, d’abord, notre marché intérieur. Nous devons faire en sorte que 70 à 80 % de nos échanges se fassent entre nos pays. Aujourd'hui, à l’intérieur de l’Uemoa, on doit être situé autour de 15 %. Cela reste très faible. Il faut étudier ce qui bloque, ce qui empêche d’aller loin. Peut-être l’offre de biens est-elle encore insuffisante ? Mais, à mon avis, ce qui est un facteur majeur, sur lequel nous devons travailler encore plus, c'est la libre circulation des hommes et des biens. Il faut que nous avancions sur ce terrain. Il faut aussi que la volonté politique s’y affirme encore davantage.

*L'Uemoa comprend huit pays membres : Bénin, Burkina Faso,Côte d'Ivoire, Guinée-Bissao, Mali, Niger, Sénégal, Togo.
New African Septembre -Octobre 2010

1 commentaire:

Kadiatou ABGRALL KANTE a dit…

Bravo Prersident Cissé pour votre savoir- être et votre savoir- faire. Votre approche est bien plus que convaincante !