jeudi 21 août 2008

SOUMAILA CISSE INVITE DU MOIS

SOUMAILA CISSE: INVITE DU MOIS DE EMERGENCE PLUS
Quel est l’état de l’Union ? C’est l’objet de cet entretien. L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine est cité comme une belle réussite, un modèle au niveau du continent au plan de l’intégration. La preuve est visible à travers les réalisations de l’important Programme économique régional mis en chantier par la Commission de l’UEMOA. Pour en savoir plus… EMERGENCES a rencontré le président de la Commission de l’UEMOA : Soumaïla Cissé, de méthode, rigoureux et véritable bourreau de travail, avec le sens de la répartie du fin politique et de la méthode de l’ informaticien.
Ancien grand argentier du Mali, finaliste de la présidentielle de 2002 face à l’actuel président de la république ATT, le président de la Commission de l’UEMOA cultive la modestie et prône l’excellence.
C’est ce « dur négociateur » selon Louis Michel qui affirme dans la même foulée que « Soumaïla Cissé est l’une des plus belles intelligences du continent », qui s’est prêté à nos questions. Entretien sans détour.

EMERGENCES : L’UEMOA avait lancé en 2006 le PER, le Programme économique régional. Quel est aujourd’hui le niveau de mise en œuvre de ce Programme ?
S.C.
: Merci de l’opportunité que vous m’offrez de m’adresser aux lecteurs de votre journal dont je salue la qualité et le professionnalisme.
Pour répondre à votre question, je rappelle que la table ronde des bailleurs de fonds pour le financement du Programme économique régional, le PER, de novembre 2006 à Dakar, a permis de recueillir des intentions de financement de 2.438 milliards de FCFA.
Après bientôt 2 ans, la mise en œuvre du PER est en bonne voie. Je voudrais signaler que certains projets avaient démarré avant même la tenue de la table ronde. Aujourd’hui, sur les 63 projets inscrits au PER, 34 projets ont formellement démarré leurs activités, soit 54 %. Les programmes qui ont ainsi démarré portent notamment sur la mise en œuvre des projets d’infrastructures routières, la construction des postes de contrôle juxtaposés, la réalisation du programme des 3000 forages, le démarrage du programme pilote de restructuration et de mise à niveau des entreprises, le développement des centres d’excellence régionaux, dans le cadre de l’enseignement supérieur ……
Au plan de la mobilisation des financements, des ressources substantielles ont également été mobilisées et affectées aux projets dont l’exécution est actuellement en cours. Ces ressources proviennent à la fois du budget propre de la Commission et des contributions externes matérialisées par la signature des conventions de financement avec des partenaires tels que la France, la BAD, l’UE, la Banque mondiale.

EMERGENCES : Vous venez de lancer le Projet de construction des forages en Côte d’Ivoire, pour boucler un programme destiné aux villages des huit Etats membres de l’Union. Est-ce qu’on ne peut pas dire que quelque part, c’est seulement ce projet de forages qui est le plus réussi au niveau du Programme économique régional ?
S.C.
: C’est une remarque aussi pertinente qu’instructive. Les populations ne retiennent, en effet, et c’est logique, que ce qui les touche directement et qui a un effet positif sur leur vie. Les forages, c’est l’exemple-type, sont des infrastructures directes et dont l’effet est immédiat. Plus que les textes et autres dossiers institutionnels. Je comprends donc parfaitement le sens de la question.
Cela dit, l’accès à l’eau potable figure parmi les objectifs fondamentaux du millénaire. En vue d’atteindre cet objectif, la Commission de l’UEMOA a décidé d’accompagner les huit Etats membres dans le cadre du PER. Le programme d’approvisionnement en eau potable est donc parmi les premiers projets à démarrer pour un total de 3000 forages équipés de pompes à motricité humaine pour un coût total de 21,4 milliards F CFA.
Comme ce programme rend plus visibles nos actions de proximité, il est plus connu et c’est notre fierté de concrétiser ainsi l’UEMOA des peuples, car en définitive l’intégration se mène au bénéfice des populations…

L’action du PER en plus de ces forages, embrasse divers autres domaines allant des routes à l’enseignement supérieur en passant par la sécurité alimentaire. C’est donc tout un ensemble de projets et programmes qui démarrent, chacun à son rythme, pour aboutir à un véritable maillage de réalisations essentielles à travers les 8 pays de l’Union.

EMERGENCES : Il fallait 1910 milliards de FCFA pour financer le PER et les bailleurs s’étaient engagés lors de la Table ronde de Dakar. Est-ce qu’ils ont tenu promesse?
S.C. : Ah oui, nos partenaires respectent leurs engagements. Ainsi des concertations avec les bailleurs de fonds sont prévues, début juillet 2008, ici même, à Ouagadougou, afin de préciser les affectations et les modalités possibles de mobilisation concrète de ces ressources.
A cet effet, nous avons réalisé une importante en vue de définir et de mettre en place un cadre institutionnel de mobilisation des ressources annoncées. A ce titre, il a été proposé la mise en place au niveau régional d’un Comité de Suivi des partenaires techniques et financiers, destiné à établir des concertations régulières pour, d’une part, faciliter la mobilisation des financements annoncés, et, d’autre part, permettre à nos partenaires d’avoir une idée du suivi de la mise en œuvre et des résultats obtenus grâce aux financements qu‘ils ont mis en place.
Nos partenaires tiennent donc leurs promesses, nous ferons tout pour mériter leur confiance.

EMERGENCES : Quels sont les freins à la mise en œuvre rapide du PER ?
S.C.
: Le PER s’opérationnalise, dans un environnement sous-régional et international marqué par des contraintes de divers ordres. Ainsi, on peut reconnaître que la persistance de certaines tendances lourdes peut retarder la réalisation de certaines de nos actions. Il s’agit actuellement de la hausse récurrente des produits pétroliers, de la faiblesse des infrastructures économiques et du faible taux de croissance économique. La faible capacité des Etats à mettre en œuvre les investissements prévus au PER pourrait aussi constituer un frein majeur à son succès.
Nous avons à cet effet pris les devants à travers, par exemple, la mise en œuvre des projets par la maîtrise d’ouvrage déléguée, ce qui aidera à accroître les capacités d’absorption des institutions régionales et des Etats membres.
Les difficultés existent donc, nous les jugulons au fur et à mesure, grâce à notre approche basée sur une veille permanente et une réaction rapide.

EMERGENCES : Le PER devait aider à créer les infrastructures (routières, énergétiques, etc.) nécessaires à l’accroissement de la productivité et à la compétitivité économique de l’UEMOA. Qu’est-ce qui a été fait depuis lors pour réussir ce pari ?
S.C. : Au regard du rôle central des infrastructures dans la construction et la consolidation de l’intégration, le développement et la modernisation des infrastructures a été considéré comme l’axe prioritaire du PER avec 78 % du coût global.
Ainsi, par exemple, 31 des 63 projets du PER sont dans le secteur routier par exemple. Les principaux programmes concernent l'aménagement et l'entretien du réseau routier, l'amélioration du système d'informations routières, la construction de postes de contrôle juxtaposés aux frontières, l’interconnexion des chemins de fer, la création d’une compagnie aérienne régionale, le développement des télécommunications et l’interconnexion des réseaux électriques.
A titre d’exemple, on peut noter que l’état d’avancement de la composante infrastructure routière est satisfaisante avec 12 projets routiers communautaires réalisés dont 4 programmes communautaires qui connaissent un état d’avancement particulièrement notable.
Depuis la table ronde, plusieurs actions concrètes ont donc été réalisées dans le cadre du PER et les années 2008/2009 verront la montée en puissance du PER, avec notamment la mise en place du cadre institutionnel de concertation avec les partenaires techniques et financiers, les PTF, à la rencontre de juillet 2008 comme je viens de vous le dire.

EMERGENCES : A mi-parcours, quel bilan faire de vos actions à la tête de la Commission de l’UEMOA ?
S.C. : Le bilan…, c’est aux observateurs comme vous, de le faire. Depuis que je préside ce collège que constitue la Commission, j’ai poursuivi et renforcé les actions essentielles prévues par le Traité. Nous avons ainsi mis en place toutes les institutions prévues par le Traité. Nous avons réussi le pari de mettre sur rail… (rires) le PER qui est vraiment notre fierté à tous au niveau de l’UEMOA, BCEAO, BOAD et toutes les institutions de notre Union.
L’UEMOA est, grâce à une diplomatie de proximité mieux connue des partenaires qui adhèrent à notre approche sous-régionale du développement. A travers une communication ciblée, les populations suivent nos efforts au quotidien.

EMERGENCES : Quels sont les projets qui vous tiennent aujourd’hui à cœur pour l’UEMOA ?
S.C. : Tout est important, tout est utile, tout nous tient à cœur, dans cette belle construction qu’est l’intégration. Il y a certainement des projets plus urgents que d’autres, mais tout se tient pour créer un espace solidaire et intégré.
EMERGENCES : Oui, mais il y a un secteur… un domaine… ?
S.C. : Bon, vous conviendrez avec moi que étancher la soif, soigner, nourrir, éduquer, sont des priorités, c’est pourquoi des volets comme les forages, les centres de santé, la sécurité alimentaire, l’éducation, sont en première ligne.
La libre circulation effective des biens, conformément au schéma de libéralisation des échanges intracommunautaires, mais également celle des hommes, leur droit de s’établir dans n’importe quel pays de l’Union et d’y exercer leur profession, sans aucune entrave liée à leur nationalité d’origine, constitue une priorité.
Nous sommes fiers de dire que les modalités de jouissance, sur l’ensemble du territoire de l’Union pour les professions libérales, déjà définies pour les médecins, les architectes, les comptables et experts comptables et les avocats sont élargies aux chirurgiens-dentistes et aux pharmaciens. Depuis le 1er janvier 2008, les étudiants ressortissants de l’Union peuvent s’inscrire dans toutes les universités publiques de tout pays de l’Union dans les mêmes conditions que les nationaux. C’est pour nous un acte majeur car, la transmission du savoir est le meilleur investissement pour nos pays dans un monde globalisé où seule l’excellence permet de tirer son épingle du jeu.

EMERGENCES : La Région est aujourd’hui confrontée au problème de vie chère. Qu’est-ce qui est fait au niveau de l’Union pour aider les pays à juguler cette crise ? S.C. : C’est une question capitale. Vous avez, au niveau de l’UEMOA, nous avons donné l’alerte depuis longtemps. C’est pourquoi nous avons pris les devants. Au-delà des réponses urgentes, à court terme donc, nous avons prévu un vaste programme de sécurité alimentaire dont le démarrage sera bientôt effectif au niveau de l’Office du Niger au Mali où nous aménagerons 10 000 hectares.
EMERGENCES : Quels sont les grands chantiers de la Commission en ce moment ? S.C. : Notre objectif en 2008 est de finaliser la mise en place de structures et de procédures légères et transparentes, conduisant à la réalisation des chantiers du PER afin d’absorber rapidement toute l’offre de financement disponible, surtout dans les domaines des infrastructures et de l’énergie. Sont concernées notamment la construction de routes, la facilitation de la circulation des personnes et des biens à travers la suppression totales des barrières non-tarifaires sur nos axes routiers, l’amélioration des transports aériens, l’interconnexion des réseaux électriques et l’amélioration des moyens d’approvisionnement en produits pétroliers.
Le coût de l’énergie est un sérieux handicap à l’industrialisation. C’est une question vitale. La Commission s’associe à toutes les initiatives afin de réduire les effets de cette hausse sur les produits de première nécessité et les transports.
L’insertion de notre Union dans l’environnement économique international constituera également en 2008 un enjeu majeur : les discussions sur les approches de coopération économique et commerciale avec nos partenaires de l’Union Européenne et des pays de l’Afrique du Nord, entre autres, montrent à quel point la solidarité communautaire doit être renforcée, conformément à l’esprit du Traité, en privilégiant d’abord les intérêts de nos populations.
C’est ainsi que se traduit au quotidien, notre vision de l’UEMOA. Il s’agit de construire, entre les huit Etats membres et ceux qui souhaiteraient s’y adjoindre, un espace harmonisé, au sein duquel, les citoyens jouissent, à égalité, des fruits des réformes communautaires, quel que soit leur lieu de résidence. C’est là, l’illustration de notre vison, « ancrer l’UEMOA dans le quotidien des populations ».

EMERGENCES : Avec la CEDEAO, les pays de l’UEMOA sont engagés dans un processus de négociations portant sur les APE, les Accords de partenariat économique avec l’Union Européenne. Quel est votre avis personnel sur le refus de la région de conclure ces Accords ?
S.C. : Il n’y a pas refus... ! Il y a négociation sur l’essentiel. Ainsi dans le souci de sauvegarder la cohésion au niveau de la Région, la Conférence des Chefs d’Etat a demandé à la Commission de poursuivre ses actions, en concertation avec les Autorités compétentes de la CEDEAO afin de parvenir à « la conclusion dans un délai raisonnable, d’un Accord global, viable et avantageux pour la Région. »
Il n’y a donc pas question de refus. ! Je reviens de Bruxelles, où j’ai largement et directement exposé nos arguments avec la foi qui sied en la matière. Je peux vous dire qu’après nos explications, la plupart de nos interlocuteurs ont compris le bien-fondé de nos préoccupations. Des personnalités comme Louis MICHEL Commissaire chargé du développement comprend que l’agriculture, surtout dans les conditions actuelles, ne peut être occultée car elle constitue un dossier sensible.
L’agriculture pour les pays africains en général est une question de survie. Elle doit donc requérir l’attention et surtout la compréhension de nos partenaires
Au niveau de l’UEMOA et de la CEDEAO, nous ne refusons donc pas de signer, nous voulons nous entendre avec nos partenaires sur l’essentiel avant de nous engager dans un processus qui concerne l’avenir de nos pays.

EMERGENCES : Parlons maintenant de votre vie politique dans votre pays, le Mali. Comment se porte aujourd’hui votre parti, l’Union pour la République et la démocratie (URD) dans le paysage politique national malien ?
S.C. : Vous savez quand on accepte un poste comme le mien, on est tenu par un devoir de réserve. Pour l’histoire, je peux quand même rappeler que l’URD, je l’ai créée avec des amis et sympathisants en 2003 avant d’être nommé à la Commission. Cela dit, l’URD se porte bien, c’est la deuxième force politique du pays. Il participe à l’action gouvernementale dont il est l’un des piliers…

EMERGENCES : Quels sont vos rapports avec l’actuel chef de l’Etat, le Président Amadou Toumani Touré ?
S.C. : Excellents. Vraiment… ce sont des rapports excellents sans aucune réserve… et empreints de confiance réciproque… au service d l’intégration…

EMERGENCES : Est-ce que vous êtes candidat pour la prochaine présidentielle dans votre pays ?
S.C. : Belle transition... (rires) je suis aujourd’hui à la tête de la Commission, avec la confiance renouvelée en janvier dernier par les Chefs d’Etat de l’Union. Je me consacre donc totalement à cette tâche pour mériter cette confiance et surtout assurer le mieux-être qu’attendent nos populations… j’ai donc les yeux dans le guidon, comme disent les cyclistes et je ne pense qu’à ça pour le moment. Je souhaite donc me concentrer sur cette mission, la réussir et puis…, après... passer à autre chose… par la grâce de Dieu… ! (rires)…

EMERGENCES : Merci Monsieur le Président ...
S.C. : C’est moi qui vous remercie pour l’intérêt que vous portez à l’UEMOA et à son évolution…

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