vendredi 13 juin 2014

Libérée par ses colonies, la France de De Gaulle a oublié les soldats africains - maliweb.net

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Libérée par ses colonies, la France de De Gaulle a oublié les soldats africains

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Bocar Cissé, ancien instituteur engagé et père de Soumaïla Cissé
Bocar Cissé, père de Soumaila Cissé
A travers une autobiographie détaillée, Bocar Cissé, ancien instituteur engagé et père de Soumaïla Cissé, principal opposant à Ibrahim Boubacar Keïta lors des présidentielles de 2013, livre un témoignage d’une grande profondeur historique sur le Mali du XXème siècle. Des souvenirs de vie qui reconstituent avec précision l’époque de l’administration coloniale. Jusque dans ses plus sombres épisodes.

Récit d’une vie passée au crible, l’ouvrage autobiographique de Bocar Cissé est un précieux matériau d’historien. Au fil des pages, l’enseignant devenu homme politique aujourd’hui décédé, détaille avec une application d’orfèvre les épisodes qui ont mêlé son destin à celui du Mali sur près d’un siècle.

L’administration coloniale à la loupe
Tout d’abord l’enfance dans le Delta du Niger, la pêche et les études coraniques. Puis, très vite l’entrée à l’école française dans les villages de Saraféré et de Niafunké dans la région de Tombouctou. Il y fait la connaissance de celui qu’il surnomme son « messie », Mamby Sidibé. Ce maître d’école le pousse à franchir les portes des grands établissements de l’époque coloniale: l’Ecole primaire supérieure de Bamako, alors capitale du Soudan français, et l’école normale William Ponty, prestigieux établissement de l’Afrique-Occidentale française qui a formé la plupart des cadres de cette région à la fin des années 1930.

A travers la formation de Bocar Cissé, le decorum de l’administration coloniale est reconstitué, son organisation décortiquée. L’auteur décrit notamment comment les responsables français s’allient avec des chefs de tribus locaux pour faciliter la mise en coupe réglée de Bamako par le gouverneur, Terrasson de Fougères. Au cœur de cette mécanique coloniale, l’auteur perçoit déjà le rôle crucial de l’instituteur, émissaire privilégié de l’administration auprès des populations. Mais avant de pouvoir goûter à l’exercice, le voici contraint d’intégrer les rangs de l’armée française sur le front de la guerre qui enflamme la lointaine Europe en 1943.

Les oubliés de la libération
Avec de nombreux africains de l’ouest, Bocar Cissé embarque direction Fez au Maroc puis Alger, l’île d’Elbe, la Corse et enfin, la France continentale. Sur place, l’accueil réservé au bataillon est plus que mitigé. Fêtés en héros dans certains villages, les soldats africains y font pourtant le plus souvent l’expérience douloureuse d’un racisme violent dicté par une profonde ignorance. « Certains pensaient que la peau noire était une saleté, et nous avons vu des enfants venir nous frotter pour voir si la couleur allait disparaître. Dans certains bistrots ou hôtels, le principe était de ne jamais donner à boire au soldat noir, parce que le soldat noir qui boit est dangereux, disait-on ! »
En fait de cruauté, l’autorité politique n’est pas en reste. Avec précision, Bocar Cissé raconte comment de Gaulle a tenu les soldats africains à l’écart lors de la libération de Paris. Un épisode peu connu, volontairement oublié par l’histoire officielle.

« Nous étions cantonnés dans le Jura, tout près de la Suisse, quand l’armée reçut un ordre venant du général de Gaulle : il fallait relever toutes les troupes noires et les remplacer par des soldats français pour reconstituer des régiments homogènes. Des jeunes soldats de Toulon viendraient prendre la relève. Nous étions donc en voie de démobilisation pour laisser la place uniquement à des soldats français. (…) Sur ordre du général de Gaulle il fallait progressivement renvoyer toutes les troupes noires en Afrique et les remplacer par de jeunes Français des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur). De Gaulle avait ainsi l’intention de modifier la donne, c’est-à-dire de faire oublier l’idée que les colonies avaient libéré la France. Il voulait montrer que la France avait été libérée par les Français. Ainsi, le jour de la libération de Paris, il faut remarquer qu’il y avait les FFI et la division Leclerc, qui a été fondée au Tchad avec les troupes noires. Il s’agit de cette fameuse colonne qui a parcouru toute l’Afrique du nord ! Par la suite cette division est arrivée à Paris, mais on a dit que ce sont d’abord les FFI qui ont libéré la ville. Or, j’ai eu l’occasion de discuter avec un officier FFI à Montferrat. Il m’a dit carrément que de nombreuses personnes du FFI s’étaient arrogé des galons qu’elles ne méritaient pas, que certaines ne savaient même pas épauler un fusil. »

Encore une fois, la petite histoire raconte la grande.
« Un homme instruit est un lâche »
De retour au pays, le jeune instituteur fait ses premiers pas dans l’univers des touaregs. Un monde qui le fascine et qui deviendra pour lui un objet d’étude en tant que chercheur. Muté dans la région de la vallée du fleuve Niger, Bocar Cissé crée et dirige plusieurs « écoles nomades » accueillant des enfants touaregs dans les villes de Gourma-Rharous, Tombouctou et Ménaka. A nouveau, la mémoire de l’auteur, couchée sur le papier, se fait le témoin historique de l’occupation française de 1894 à 1903 et de ses conséquences sur les populations du nord du Mali aujourd’hui au cœur de l’actualité.

« Avant la conquête (…), les Touaregs nigériens (de la boucle du Niger) se divisaient en deux grands groupements géographiques et politiques. A l’ouest de Tombouctou, c’était la confédération tademekka (…) A l’est, dans la région de Gao, c’est la confédération iwllemmedan, de beaucoup la plus importante. (…) Les français ont éparpillé les factions des tribus qui se sont soumises petit à petit, et les ont installées dans leur zone d’habitat actuelle. »

A l’école nomade, l’enseignement devient un combat. L’instruction des enfants à l’école des colons est rejetée en bloc par certaines chefferies touaregs. « Les guerriers pensaient qu’il était néfaste de mettre leurs enfants à l’école : à l’école française, ils allaient apprendre des notions d’humanité et d’autres valeurs qui ne convenaient pas à des enfants de guerriers. Ainsi un jour, j’entendis le commandant demander à un chef pourquoi il n’envoyait pas ses enfants à l’école. Le chef répondit : nous n’envoyons pas nos enfants à l’école parce qu’un homme instruit est un lâche : avant de faire un coup terrible, il se met à réfléchir longuement aux conséquences qui découleraient de son acte. ». Boca Cissé doit convaincre des bienfaits de l’éducation pour obtenir l’inscription des élèves. Autre défi de taille, la scolarisation des jeunes filles souvent retirées de l’école au début de l’adolescence pour être mariées.

Autant d’obstacles qui pousseront l’instituteur vers l’engagement politique et surtout le syndicalisme enseignant dont il restera une grande figure au Mali.

« Bocar Cissé, Instituteur des sables. Témoin du Mali au XXème siècle. » Bocar Cissé, B. Salvaing, A.O. Kounta. Editions Granvaux
PUBLIÉ PAR THALIA BAYLE (Journaliste. Diplômée en sciences politiques à Lille, passée par le think tank “European Institute” à Washington, ARTE, et pigiste pour différentes publications)

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