Soumaïla Cissé : « L’Uemoa
doit se confédérer »
Soumaïla Cissé, le président de la Commission
de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), à la veille de son
départ, tire les leçons de son expérience à la tête de
l’Union, mais aussi celles de la crise
ivoirienne qui a conduit au prolongement de son mandat. L’Afrique de l’Ouest
doit aller vers une confédération, en conclut-il.
Ouest Finance :
Monsieur le Président, vous achevez votre mission à la tête de l’Uemoa. Quand
vous jetez un regard rétrospectif sur tout cela, quel est l’enseignement
fondamental que vous en tirez personnellement ?
Soumaïla Cissé :
C’est toujours difficile de faire soi-même le bilan de ce qu’on a fait, mais je
peux dire, d’abord, que l’Uemoa a été pour moi extrêmement enrichissant. D’abord
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le plan humain, sur le plan de la connaissance des hommes comme de nos différents pays, et surtout sur la pertinence de l’intégration. Je me suis rendu compte à quel point nos économies sont complémentaires, à quel point nous avons besoin les uns des autres et à quel point chaque pays peut être fragile tout seul, qu’il n’y a pas de solution déjà réglée en un endroit. J’en retiens qu’il faut absolument que nous soyons tous ensemble. A considérer comment les crises ont circulé, si l’on peut dire, dans nos différents pays, en Guinée-Bissau, au Togo, en Côte d’Ivoire et, aujourd’hui, au Burkina, l’on se rend compte que c’est le fait d’être ensemble qui a beaucoup aidé à se soutenir les uns et les autres, qui a permis aux populations d’avoir des points de repli. C’est aussi grâce à l’Union que la monnaie a pu tenir, que les gens ont pu quitter la Côte d’Ivoire, vivre dans des pays voisins, mettre leurs enfants à l’école sans quelque tracasserie. Je crois que c’est quelque chose d’extrêmement enrichissant. Je suis convaincu chaque jour davantage que l’intégration est vraiment la clef du développement de nos régions, et que c’est le fait de partager des intérêts en commun, le fait d’avoir des intérêts d’un côté et de l’autre des frontières qui va permettre de gommer les disparités, qui va permettre de gommer ces facteurs de division, parce que les intérêts en commun vont certainement prendre le pas, petit à petit, sur les divisions traditionnelles. Je pense que
le plan humain, sur le plan de la connaissance des hommes comme de nos différents pays, et surtout sur la pertinence de l’intégration. Je me suis rendu compte à quel point nos économies sont complémentaires, à quel point nous avons besoin les uns des autres et à quel point chaque pays peut être fragile tout seul, qu’il n’y a pas de solution déjà réglée en un endroit. J’en retiens qu’il faut absolument que nous soyons tous ensemble. A considérer comment les crises ont circulé, si l’on peut dire, dans nos différents pays, en Guinée-Bissau, au Togo, en Côte d’Ivoire et, aujourd’hui, au Burkina, l’on se rend compte que c’est le fait d’être ensemble qui a beaucoup aidé à se soutenir les uns et les autres, qui a permis aux populations d’avoir des points de repli. C’est aussi grâce à l’Union que la monnaie a pu tenir, que les gens ont pu quitter la Côte d’Ivoire, vivre dans des pays voisins, mettre leurs enfants à l’école sans quelque tracasserie. Je crois que c’est quelque chose d’extrêmement enrichissant. Je suis convaincu chaque jour davantage que l’intégration est vraiment la clef du développement de nos régions, et que c’est le fait de partager des intérêts en commun, le fait d’avoir des intérêts d’un côté et de l’autre des frontières qui va permettre de gommer les disparités, qui va permettre de gommer ces facteurs de division, parce que les intérêts en commun vont certainement prendre le pas, petit à petit, sur les divisions traditionnelles. Je pense que
la
mise en commun de ces facteurs de progrès devrait vraiment permettre d’avancer.
OF :
Irez-vous jusqu’à dire qu’à quelque chose malheur est bon et que l’Union, à
long terme, devrait se satisfaire entre guillemets de la crise ivoirienne ?
SC : On ne peut en aucune façon se
satisfaire de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Mais il est vrai qu’une
crise permet toujours de tirer des leçons, de prendre des mesures pour qu’elle
ne revienne pas. Vous savez, nous avons constitué dernièrement un panel pour
justement réfléchir sur l’avenir de notre union et parmi les scénarii que nous
avons envisagés, il y avait aussi « le
scénario des seigneurs de guerre »,
où nous tombons justement dans ces situations de crise que nous ne maîtrisons
pas. Et aujourd’hui, on peut dire que ce scenario aussi est possible. Nous avons
vu qu’il faut absolument, très rapidement, aller vers une sorte de
confédération dans notre zone. Il faut mettre encore plus d’aspects politiques
en commun. L’intégration ne peut pas se limiter aujourd’hui uniquement aux
aspects économiques. Je crois que nous voyons, aujourd’hui, que l’Uemoa elle-même
doit pouvoir progresser et aller de l’avant. Nous pouvons même envisager,
pourquoi pas, de mettre en commun des aspects de souveraineté, les armées, les
affaires étrangères, la justice. Ce sont des éléments de réflexion que nous
mettons sur la table. Après quinze ans de fonctionnement, il faut s’arrêter,
regarder ces crises que nous n’avons peut-être pas su bien gérer ou anticiper parce
que ce n’était pas fondamentalement dans notre mandat.
Mais
il est devenu évident que la vie ne s’arrête pas aux aspects économiques et
macroéconomiques. Elle va bien au-delà. Aujourd’hui, nous devons essayer d’évoluer
vers une confédération, essayer de travailler à la mise en commun des éléments de
souveraineté pour que nous puissions anticiper certaines choses. Si nous avions
une armée commune, peut-être que cela ne se serait pas passé comme cela en Côte
d’Ivoire. S’il y avait une diplomatie commune, peut-être que cela ne se serait
pas passé comme cela. Si notre justice était assez intégrée, peut-être
aurions-nous pu arrêter certaines dérives bien avant. Evidemment, ce sont des
hypothèses, ce sont des éléments de réflexion. La crise, sans que l’on s’en
satisfasse, nous amène à réfléchir et à nous demander pourquoi c’est arrivé. Qu’est-ce
que nous n’avons pas pu anticiper ? Qu’est-ce qu’il faut faire, aujourd’hui,
pour que ce genre de crise ne revienne pas ? C’est toujours une leçon, et cette
leçon est une leçon très grave. Nous devons la retenir.
OF :
Quel va être l’agenda du sommet de Lomé ? La date définitive est-elle confirmée
?
SC : Oui, la date prévue est le 30 avril.
Jusqu’à l’heure où je vous parle, cela n’a pas changé. Nous avons deux points
essentiels. D’abord, la Côte d’Ivoire. Il s’agit d’évaluer les conséquences de
la crise ivoirienne sur notre économie, notre système financier, bancaire. Nous
allons faire le point et avoir les orientations des chefs d’Etat. Le second
point de l’ordre du jour, c’est le renouvellement des mandats. Nommer un
nouveau gouverneur titulaire de la BCEAO, et au niveau de la Commission de l’Uemoa,
le nouveau président de la Commission et une nouvelle Commission pour les
quatre prochaines années. Nous avons réduit le conseil aux choses
indispensables. Un conseil ordinaire se réunira plus tard sur les autres
aspects.
OF :
Les échanges commerciaux vous satisfont-ils ? Pourquoi n’ont-ils pas encore
décollé ?
SC : Il est vrai que notre tarif préférentiel
communautaire a permis de porter les échanges de 9 à 15%, mais c’est en deçà de
nos espérances, en deçà de ce qui s’observe dans les autres unions en Europe,
en Asie, en Amérique. Sur le continent, nos progrès sont enviés. Nous avons
bien identifié les obstacles et nous travaillons à les lever. Il s’agit des
contraintes qui pèsent sur la circulation des biens : les difficultés de
transport et les barrières tarifaires et non tarifaires. Nos observateurs des
pratiques anormales documentent tout cela et nous permettent de nous y attaquer
pour progresser dans les échanges, qui sont le socle de l’intégration. Sans un
marché commun crédible et solvable, sans une entité autonome, nous continuons à
dépendre de l’extérieur et de tous les chocs exogènes. Il est donc essentiel de
comprendre
ces enjeux pour dépasser les égoïsmes nationaux, qui peuvent conduire à des
collusions entre administrations locales et intérêts privés locaux, pour tenter
de protéger des industries. Il revient à la Commission, par sa Cour de justice,
de faire respecter davantage les règles de concurrence. Sans quoi il y a un
réel risque de réarmement tarifaire par des pays qui s’estiment lésés. C’est ce
qui a tué la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEAO).
OF :
Le droit d’établissement n’est toujours pas effectif, sauf pour des professions
libérales.
SC : Le droit d’établissement est déjà prévu
par le traité de l’Union, mais n’est pas appliqué. Nous avons changé de démarche
en nous adressant d’abord aux ordres professionnels, les architectes, les
avocats, les experts juridiques, les pharmaciens, les médecins, parce ce que ce
sont eux qui sont la clef, qui peuvent bloquer. C’est encore insuffisant, mais
c’est une première étape de franchie. Nous allons poursuivre et je suis convaincu
que les mentalités vont changer quand tout le monde se rendra compte que,
finalement, ce sont des intérêts croisés, que tout le monde gagne à pouvoir s’installer
partout dans la zone. Je rappelle souvent l’absurdité de certaines situations. Une
dentiste dont le mari avait été affecté dans un autre pays, et qui ne pouvait
pas exercer alors que ce pays n’avait pas assez de dentistes. Ou encore qu’un
architecte qui achète une maison dans un autre pays soit obligé de faire appel à
un architecte national pour pouvoir la transformer !
OF :
En tant qu’homme politique, quels enseignements tirez-vous de ce qui se passe
en Côte d’ivoire, de ce qui se passe aujourd’hui au Burkina ? De ce qui s’est
passé en Guinée-Bissau ?
SC : Je crois que ce qu’on peut retenir,
c’est que l’une des clés et l’un des piliers du développement, c’est la gouvernance,
tout simplement. Il faut que nous définissions ensemble les règles de vie en
commun, et que nous les respections tous. Je crois que si elles avaient été
définies et respectées par tous, nous aurions évité toutes ces crises, que ce
soit en Côte d’Ivoire, au Burkina ou en Guinée-Bissau. C’est pour cela que nous
faisons nos constitutions, que nous définissons les règles du vivre ensemble,
que nous fassions en sorte que la justice soit libre et indépendante. Mais il
faut ensuite que les responsables, comme les citoyens, respectent tout cela.
Sinon, évidemment, chacun se fait justice et chacun définit ses propres règles.
La démocratie, la république, ce sont des règles en commun, si elles ne sont
pas
bonnes, on se réunit et on les change, mais on ne peut pas définir des règles
et que chacun fasse ce qu’il veut de son côté. Je pense aussi que le besoin de
dialogue, de renouvellement, de donner une chance à chacun et à chacune, est très
fort aujourd’hui dans l’ensemble de nos pays. Les jeunes s’impatientent. Le
monde est tellement ouvert aujourd’hui. On sait ce qui se passe un peu partout.
Les gens sont plus informés, plus éduqués, donc plus exigeants sur le respect
des termes de la gouvernance. Ce que je retiens vraiment, comme leçon, c’est l’intransigeance
des peuples de l’Afrique de l’Ouest.
OF :
Dans quelle mesure l’Union a-t-elle souffert de la crise ivoirienne ?
SC : La crise a été l’une des causes de l’inflation
dans la zone. Elle n’est pas la seule parce que la région a aussi subi le choc
du renchérissement des hydrocarbures, mais incontestablement, les produits de
la zone qui transitaient par les ports de Côte d’Ivoire, de même que les
produits d’origine ivoirienne, ont fait défaut, ou sont passés par des circuits
plus longs qui les ont renchéris. Tous les pays n’ont pas été affectés de la
même manière. Ce sont les pays sans littoral qui en ont le plus souffert, le Burkina,
le Mali et le Niger. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire est la locomotive de l’économie
régionale. Or, elle va connaître une récession estimée par la Banque mondiale
entre 3 et 7,5%. La croissance globale de l’Union va en être affectée.
Hance Gueye
LE PANEL DE HAUT NIVEAU
Le
président de la Commission a mis en place un panel de haut niveau chargé de réfléchir
sur l’avenir de l’Union. Il était présidé par l’ancien Premier ministre sénégalais
Mamadou Lamine Loum. Si les efforts nécessaires sont consentis, il fera bon
vivre dans la région.
«
En 2020, l’Union a fait de remarquables
progrès dans la
construction d’un espace politique, économique et social qui
donnent aux rêves d’intégration des pères fondateurs de l’Afrique
moderne une réalité vécue.
Riches de l’expérience de la gestion solidaire et efficiente
de leur
monnaie et de leur espace, les pays ont construit une
confédération,
et confié à un exécutif commun la gestion de leur défense,
de leurs affaires extérieures, de leur commerce extérieur,
de leur
système douanier et de leurs codes, civil et commercial.
Dans le
même mouvement, ils ont créé une institution judiciaire
suprême,
coiffant les juridictions nationales.
Au moyen d’une politique économique et monétaire appropriée,
les pays de l’Union ont créé un espace économique de
compétitivité,
avec un marché régional ouvert, et un environnement des
affaires capable d’attirer les investisseurs nationaux et
internationaux.
Un secteur privé responsable est devenu le moteur principal
d’une industrialisation « propre » et créatrice d’emplois.
L’économie rurale nourrit les populations et produit des
surplus.
Le progrès, au sens du développement humain, est mesuré avec
un souci de respect mutuel et d’équité qui intègre toutes
les forces
vives et tous les territoires.
Les citoyennes et les citoyens peuvent s’exprimer librement.
(…)
Ils circulent librement d’un pays à l’autre et peuvent être
éduqués,
s’installer et travailler librement dans le pays de l’Union
de leur choix.
L’Union a mis en place un système d’éducation qui forme des
citoyens du monde, profondément ancrés dans leurs traditions
historiques et culturelles…
Les techniques de l’information auxquelles la confédération
a
donné la priorité permettent au reste du monde de découvrir
aussi bien le nouvel équilibre que l’Union a réussi à
établir entre
la nature et les populations, en valorisant un heureux
mélange de
techniques de pointe et de savoirs traditionnels, que la
créativité
artistique des différents peuples, riches de leur diversité.
L’Union devient ainsi source de référence au moment où les
modèles
de croissance qui exploitent la nature s’essoufflent et où
le
monde a soif d’une nouvelle source d’espoir. »
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