Les Afriques | Soumaïla Cissé : « La Côte d’Ivoire sera en récession de 3 à 7,5% » | le journal de la finance Africaine: "Les Afriques : La guerre est finie, vient de dire le président, enfin installé. Quels auront été ses effets sur l’Union ?
Soumaïla Cissé : Sur le plan économique, de façon générale, la fermeture des ports a engendré des
coûts supplémentaires sur les marchandises parce que les circuits ont été plus longs et les tracasseries, avec les changements de circuits, se sont aussi accentuées. Notre zone connaît une inflation à cause de facteurs exogènes, comme l’augmentation du prix du pétrole, mais aussi parce que les produits venant de la Côte d’Ivoire et ceux qui y transitaient subissent des coûts de transport beaucoup plus élevés.
Globalement, nous nous attendons à une récession en Côte d’Ivoire. La Banque mondiale l’estime entre 3 et 7,5%. Il faudra bien sûr affiner les calculs un peu plus tard. Ceci va se répercuter sur l’ensemble de notre union, en particulier sur les pays de l’intérieur comme le Burkina, le Mali et le Niger. Nous avons un sommet de chefs d’Etat à Lomé et nous allons faire un point un peu plus précis sur les conséquences de la crise sur les plans économique, financier, bancaire. Nous attendons, bien sûr, à partir de là les orientations des chefs d’Etat pour donner un peu plus de vigueur à l’activité économique de la sous-région.
LA : Quand vous parliez de l’échéance d’avril, est-ce que les risques pouvaient aller jusqu’à une dévaluation du franc CFA ?
SC : Non, je ne pense pas. Les risques, c’était d’abord sur le plan humain. Vous avez vu ce qui s’est passé sur le plan social, avec tous ces mouvements de population.
Sur les plans financier et bancaire, les perturbations ont dérégulé les circuits. L’administration ivoirienne elle-même a pris un coup extrêmement sérieux. Il est évident que nos mécanismes ne seront plus rodés comme auparavant. Tout cela n’était plus soutenable à terme. C’est à cela que je pensais quand je vous disais en janvier dernier qu’au-delà du mois d’avril cela allait devenir extrêmement grave, parce que les fondements de l’union elle-même allaient être perturbés.
Mais, pour le CFA, nos réserves sont en lieu sûr et c’est ce qui importe par rapport à nos échanges avec l’extérieur. Nos couvertures sont importantes en matière d’importation. Il n’y a donc pas de difficulté particulière concernant la monnaie. En revanche, la situation économique, sociale, humanitaire est difficile et ne pouvait pas être soutenue au-delà de ce mois d’avril.
LA : Dans quels délais la BCEAO peut-elle rétablir l’activité bancaire en Côte d’Ivoire ?
SC : Le gouvernement ivoirien a déjà proposé un directeur national de la BCEAO, qui a été nommé par le gouverneur intérimaire. Il va s’installer dans la semaine et, dès la semaine prochaine, il faut que l’agence nationale de la Banque centrale ouvre rapidement, qu’elle soit alimentée en billets, qu’elle soit opérationnelle, que les compensations entre banques puissent reprendre, pour que les banques primaires puissent travailler. Dans une semaine à dix jours(*), cela devrait pouvoir redémarrer.
LA : Qu’est-ce que l’Uemoa compte faire pour la Côte d’Ivoire ? Dispose-t-elle de ressources financières pour l’aider à passer ce cap difficile ?
SC : Dans une famille, quand c’est le grand frère, qui fournit le plus de ressources, qui est malade, c’est toujours difficile de le soutenir à son tour. Malheureusement, c’est souvent ainsi. Nous avons un peu de ressources parce que nous prévoyons toujours dans notre budget une provision qui n’est pas un montant énorme, mais qui permet de soulager. C’est grâce à cette provision que nous intervenons en cas de sécheresse ou d’inondation, ou de certaines calamités. Nous allons faire le point pour voir ce qui nous reste, pour voir si nous pouvons apporter un peu de soulagement à la Côte d’Ivoire. C’est plus un acte symbolique qu’une solution importante face aux besoins énormes qui existent aujourd’hui en Côte d’ivoire.
LA : A défaut d’argent, l’Uemoa a peut-être un poids diplomatique pour appuyer la Côte d’Ivoire auprès des institutions internationales, la Banque mondiale et le FMI, à Washington, où vous êtes actuellement ?
SC : Oui, nous sommes effectivement à Washington actuellement, et hier [mercredi, ndlr], nous avons participé à la table ronde organisée par la Banque mondiale, avec le ministre des Finances de Côte d’Ivoire. Nous avons fait un plaidoyer pour la Côte d’Ivoire. Nous avons surtout fait remarquer que la crise ivoirienne ne se limite pas à la seule Côte d’Ivoire. Elle concerne l’ensemble des pays de l’Uemoa et de l’Afrique de l’Ouest. Nous avons également insisté sur le fait qu’il n’y a pas, en Côte d’Ivoire, que la ville d’Abidjan. L’intérieur du pays a été délaissé pendant de longues années. Nous avons aussi insisté sur le fait que le secteur privé doit être aidé, parce que sans le secteur privé, l’Etat à lui tout seul ne pourra pas faire face à l’ampleur de la tâche. Il faut aussi que les partenaires aident la Côte d’Ivoire à atteindre rapidement le point d’achèvement PPTE, pour réduire très fortement la dette, qui est un poids énorme sur les finances publiques ivoiriennes. Il faut également aider la Côte d’Ivoire à payer les arriérés intérieurs pour permettre de relancer le secteur privé.
« Dans une semaine à dix jours(*), l’activité bancaire devrait pouvoir redémarrer. Il faut que l’agence nationale de la Banque centrale ouvre rapidement, qu’elle soit alimentée en billets, qu’elle soit opérationnelle, que les compensations entre banques puissent reprendre. »Nous avons donc donné quelques clefs, quelques éléments qui devraient permettre à nos partenaires d’avoir des points d’impact très précis pour aider la Côte d’Ivoire. Nous avons apporté notre caution et notre soutien moral au gouvernement ivoirien pour défendre son dossier auprès des principaux partenaires qui étaient tous là, le PNUD, l’Union européenne, la Banque africaine de développement, la Banque islamique de développement, les gouvernements français et américain... Ces partenaires se sont tous engagés à aider la Côte d’Ivoire.
LA : Est-ce qu’il y a eu des annonces précises d’engagement de la part des partenaires ?
SC : Le gouvernement ivoirien a, lui-même, mis en place une équipe d’évaluation et demandé à quelques partenaires comme la Banque mondiale de lui envoyer des experts pour l’aider à évaluer ses besoins. L’annonce la plus importante a été faite par le gouvernement français, autour de 400 millions d’euros, qui a été réaffirmée par l’administrateur français auprès de la Banque mondiale et du FMI. Mais tous les partenaires se sont vraiment engagés à faire des décaissements rapides, dans un premier, temps, et ensuite des décaissements par projets, pour faire face aux situations d’urgence et aux besoins de reconstruction du pays.
LA : Quels enseignements l’Uemoa doit-elle tirer de la crise ivoirienne ?
SC : La première leçon est que le fait d’être ensemble a été essentiel. Il nous a permis de nous soutenir les uns, les autres. Les Ivoiriens ont pu trouver refuge dans les autres pays, y mettre leurs enfants à l’école sans tracasseries. La monnaie a également pu tenir grâce à l’Union. La crise en Côte d’Ivoire, mais aussi en Guinée-Bissau hier, au Burkina aujourd’hui, démontre que l’intégration est vraiment la clef. Il nous faut partager des intérêts en commun, avoir des intérêts d’un côté et de l’autre des frontières pour gommer les disparités et les facteurs de division. Ainsi les intérêts communs vont prendre le pas, progressivement, sur les divisions traditionnelles.
Propos recueillis par Chérif Elvalide Sèye
– Envoyé à l'aide de la barre d'outils Google"
mardi 17 mai 2011
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