lundi 18 avril 2011

Soumaïla Cissé : « La crise ivoirienne ne doit pas aller au-delà d’avril »

Les Afriques | Soumaïla Cissé : « La crise ivoirienne ne doit pas aller au-delà d’avril » | le journal de la finance Africaine: "Le président de la commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, qui achève son second mandat, prévient que si la crise ivoirienne va au-delà du mois d’avril, il sera difficile de
sauver l’année. Soumaïla Cissé : « Ma vision est qu’il faut deux pôles. Le premier autour de l’Uemoa élargie à tous les autres pays à l’exception du Nigéria, avec la même monnaie et des politiques communes. » Soumaïla Cissé : « Ma vision est qu’il faut deux pôles. Le premier autour de l’Uemoa élargie à tous les autres pays à l’exception du Nigéria, avec la même monnaie et des politiques communes. » Les Afriques : Monsieur le Président, 2011 s’annonce année horrible pour l’Afrique de l’Ouest. La crise perdure en Côte d’Ivoire et le baril de pétrole atteint 100 dollars. Vos prévisions de croissance ne vont-elles pas se démentir ? Soumaïla Cissé : Je pense que l’année va être effectivement difficile. Nous sortons d’une année 2010 qui, déjà, l’a été. Nous avons eu à faire face, nous faisons toujours face, à une crise énergétique à laquelle nous essayons toujours de trouver des solutions. Comme vous dites, le baril augmente. Malheureusement aussi, l’inflation revient. Nous sommes déjà au-delà de nos prévisions. La situation économique sera d’autant plus difficile que la crise ivoirienne va avoir un coût social difficile à évaluer. Il y a beaucoup de déplacements de populations, beaucoup de violences et donc, forcément, de déréglementation de la société en Côte d’Ivoire et dans ses zones frontalières. Les taux de croissance, que nous avions projetés de 4 à 6%, vont s’en ressentir. Nous espérons seulement que la crise n’ira pas au-delà d’avril, pour que nous puissions rapidement redresser la situation. Le début d’année est difficile. J’en conviens avec vous. LA : L’impact de la crise ivoirienne est-il déjà chiffré ? SC : C’est difficile à chiffrer avec précision. Ce que l’on peut retenir, c’est que la Côte d’Ivoire est le principal intervenant sur notre marché financier régional. Ses engagements directs par bons du Trésor du gouvernement s’élèveront vraisemblablement, en fin 2011, à environ 600 milliards FCFA (900 millions d’euros), sans compter les engagements liés aux obligations et d’autres effets des privés. Depuis novembre, le gouvernement ne peut plus faire face à ses engagements. Il se pose ainsi des problèmes de liquidités sur le marché. Nous sommes obligés de mettre en place un système de rafraîchissement des bons du Trésor ivoirien, pour que les banques ne soient pas obligées de provisionner et éventuellement de fermer. Cela va limiter l’activité du marché financier. « Nous avons recruté des jeunes, des très jeunes, pour commencer à assoir l’Uemoa du futur, qui doit s’orienter vers les technologies nouvelles, qui doit être bilingue, beaucoup plus moderne. » Je crains aussi un impact sur la disponibilité des produits, puisque la Côte d’Ivoire est le principal fournisseur de biens industrialisés de la région. Les échanges vont s’en ressentir. Ajoutez-y les problèmes de transport, car c’est le port d’Abidjan qui dessert pour l’essentiel le Mali et le Burkina. Un risque pèse également sur le financement de notre institution, qui est alimentée à hauteur de 36% par le prélèvement communautaire en provenance de la Côte d’Ivoire. On ne peut qu’espérer une issue à court terme. Si la crise s’enlise, les conséquences peuvent être beaucoup plus graves qu’on ne peut l’imaginer aujourd’hui. LA : Vous terminez votre second mandat à la commission de l’Uemoa ? Quels sont pour vous les progrès les plus significatifs qui ont été accomplis pendant votre présidence ? SC : L’expérience à l’Uemoa est très riche et très diversifiée. Elle donne l’occasion de toucher à une autre dimension du développement. J’avais eu à m’occuper du développement uniquement dans mon propre pays. Je me rends compte de la nécessité de tenir compte d’un environnement beaucoup plus large. Certains secteurs, les infrastructures, l’énergie, notamment, doivent forcément être considérés de façon globale. Les dix premières années de l’Union ont servi à harmoniser des politiques, à définir des cadres. Pendant mon second mandat surtout, nous avons essayé de prendre en charge les besoins des populations en eau, pour l’agriculture, les transports… Là, je crois que nous avons fait des progrès significatifs, mais il faut néanmoins faire encore plus. Ceci dit, ce que je retiens de plus satisfaisant pour nous, c’est que nous avons pu asseoir une crédibilité. Ce facteur est l’élément le plus important, le plus significatif, car il permet d’envisager l’avenir, d’avoir d’autres partenaires et, surtout, de créer de l’espoir, parce que sans espoir, sans crédibilité, on ne peut pas avancer. Aujourd’hui, d’un côté, les populations commencent à se reconnaitre dans une union, de l’autre, les partenaires et les gouvernements jugent notre union pertinente, crédible. Dernier point de satisfaction, la mise en place d’une équipe dévouée, qui en veut. C’est d’autant plus important que nous avons engagé une politique de renouvellement de notre personnel. Nous avons recruté des jeunes, des très jeunes, pour commencer à assoir l’Uemoa du futur, qui doit s’orienter vers les technologies nouvelles, qui doit être bilingue, beaucoup plus moderne. Enfin, avant de partir, nous avons engagé une réflexion prospective. Le monde a changé depuis 1994, année de création de l’Uemoa. Des défis importants l’interpellent désormais, les crises énergétiques, alimentaires, financières internationales, le changement climatique. L’Uemoa doit évoluer elle-même, sortir des seuls aspects socio-économiques, toucher au domaine de la politique. Demain, davantage de territoires de souveraineté doivent lui être confiés pour qu’elle contribue aussi à faire avancer, évoluer politiquement les choses. La crise ivoirienne n’est-elle pas politique ? Il ne faut pas la considérer comme un épiphénomène. Il faut anticiper sur de tels faits, essayer de mettre en place les mécanismes, les structures pour y faire face. LA : Malgré le tarif extérieur commun, les échanges dans la zone demeurent faibles, même si, par rapport aux autres régions en Afrique, ce n’est pas négligeable. Que faut-il faire pour progresser plus vigoureusement ? SC : C’est l’une de mes grandes frustrations. Nous avons un tarif extérieur commun qui est envié par tout le monde. Nous avons un tarif préférentiel communautaire qui devrait permettre d’échanger plus, mais nous n’avons pas la progression que nous souhaitions, même si nous sommes passés de 9% à 15%. C’est très faible par rapport à ce qui se passe dans d’autres unions du monde, en Europe, en Asie, en Amérique. Le gros obstacle, c’est la difficulté de transports avec les barrières tarifaires et non tarifaires. Comment s’en sortir ? Il faut encore plus de volonté politique, plus affirmée aussi. Nous avons des observateurs de pratiques anormales sur nos routes et nous diffusons régulièrement leurs analyses. Il faut progresser dans les échanges. C’est le socle même de l’intégration. Il nous faut un marché commun crédible et solvable, pour que nous ayons une entité autonome, sinon nous allons continuer à dépendre de l’extérieur et à subir de plein fouet tous les chocs exogènes. Ces enjeux ne sont pas très bien perçus par tout le monde. Certains gouvernements ont encore des réactions de nationalisme qui ne siéent plus. Ils cherchent à protéger des industries locales, avec des collusions entre intérêts privés locaux et administrations locales. Il nous faut, en conséquence, communiquer davantage pour que les règles de concurrence soient respectées. Il faut aussi que la commission elle-même, ou la Cour de justice, tranchent bien les conflits pour impulser cette dynamique. Sinon, c’est le réarmement tarifaire par des pays qui se sentent lésés. C’est le risque du scénario de la défunte Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (Ceao). La non-application progressive de la taxe préférentielle communautaire l’a conduite à sa mort. Nous avons entrepris la construction de postes de contrôle juxtaposés pour diminuer les arrêts. Le premier sera opérationnel entre le Togo et le Burkina Faso. Onze autres sont prévus. Avec une communication adéquate, les opérateurs économiques, les usagers vont savoir qu’il n’y a qu’un seul point d’arrêt et ils se battront pour que les administrations respectent les règles. LA : Le droit d’établissement n’a pu être appliqué que pour des professions libérales. Ne constitue-t-il pas également un des points clefs de l’intégration ? SC : Le droit d’établissement m’a beaucoup préoccupé. Pourtant, il n’y avait rien à faire. Pas besoin d’un nouveau texte puisque le traité de l’union le consacre. Mais le fait est qu’il n’était pas observé. Ainsi, quand un architecte sénégalais veut modifier sa propre maison au Mali, il est obligé de passer par un architecte malien ! Comme ce sont les ordres qui peuvent bloquer, nous avons décidé de travailler avec eux. En accord avec les chefs d’Etat, nous avons adopté une approche graduelle, en y allant par profession. C’est ainsi que nous avons commencé avec les avocats, les experts juridiques, les médecins, les architectes, les pharmaciens. C’est un premier pas. C’est un processus, parce que les mentalités ont besoin de changer. Il faut encore beaucoup d’explications, mais je crois que quand les gens verront qu’il y a des intérêts croisés et qu’il n’y a pas de mal à pouvoir s’installer ici ou ailleurs dans la région, ils l’accepteront. Il y a un exemple qui m’a révolté. C’est une dentiste dont le mari avait été affecté dans un autre pays. Elle ne pouvait pas travailler alors que ce pays manquait de dentistes ! Il faut continuer à se battre, car sans droit d’établissement, sans liberté de circulation des hommes et des biens, tout ce que nous ferons se déconstruira petit à petit. LA : Comment voyez-vous l’évolution de l’intégration régionale ? L’Uemoa doit-elle demeurer dans un ensemble plus large, compte tenu du poids du Nigéria qui pèse plus que tous les autres réunis ? SC : Je vous livre ma réflexion personnelle. L’Uemoa a été bâtie d’abord autour de la monnaie, avant d’être élargie à d’autres aspects sectoriels. Aujourd’hui nous constituons un ensemble spécifique à l’intérieur de la Cedeao, qui se veut organisation de référence de l’Afrique de l’Ouest. L’Uemoa a sa dynamique propre, mais qui n’est viable qu’à condition qu’elle s’élargisse à d’autres pays, comme elle l’a déjà fait en accueillant la Guinée Bissau. Il nous faut en faire de même avec la Guinée, le Ghana, le Libéria, la Sierra Leone… Quand je vois comment le Mali et la Guinée Bissau ont profité de l’ensemble régional, je pense que tous ces pays devraient en faire de même. Cela nous oblige à revoir l’esprit initial, résoudre les problèmes monétaires, linguistiques. Ma vision est qu’il faut deux pôles. Le premier autour du de l’Uemoa élargie à tous les autres pays, à l’exception du Nigéria, avec la même monnaie et des politiques communes. Nous serons alors plus à l’aise face au Nigéria, qui ne peut tout de même pas être mis sur le même plan que la Gambie ou la Guinée-Bissau. Il faut accepter cette réalité et en tenir compte. L’Uemoa doit évoluer vers une sorte de confédération avec une dimension politique qui ne peut plus être occultée. Il faut des domaines de souveraineté partagée. La justice, la défense, les affaires étrangères doivent être examinées ensemble. Puis, à terme, l’Uemoa disparaîtrait dans une Cedeao plus confédérée, avec des agrégats et des fondamentaux communs. Propos recueillis par Chérif Elvalide Sèye – Envoyé à l'aide de la barre d'outils Google"

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